Entretien : Robert Guédiguian parle de son film
F. V. : Votre film est très symbolique à bien des égards, quel est son objet selon vous ? R. G. : L’intention première du film, c’était le désir de montrer la force des faibles, la vitalité du chiendent, en fait, de montrer un groupe d’individus de tous âges, des gens qui vivent difficilement les conditions de vie qui leur sont proposées aujourd’hui. Donc, des gens surendettés, qui sont au chômage depuis longtemps, alors qu’ils sont la plupart du temps qualifiés, etc. Et de montrer qu’ils demeurent généreux entre eux jusqu’à se sacrifier pour les autres, pour perpétuer leur espèce… Et tout ça alors que le problème essentiel évoqué aujourd’hui au cinéma concerne les jeunes. Je crois qu’on peut aussi très tranquillement parler de gens qui ont quarante ans, qui sont au milieu de leur vie. La question de la perpétuation est d’ailleurs une question centrale dans le film. F. V. : D’où le titre ! R. G. : Bien sûr, puisqu’il indique à la fois que cette question-là est posée dans le film, et qu’elle est centrale, et que les gens sont unis à la vie, à la mort. À la vie, à la mort, c’est une expression comme ça, quand on jure et quand on est gamin… ! F. V. : Il y a donc un côté emblématique ? R. G. : Oui, comme pour sceller un pacte, un serment… F. V. : Mais c’est aussi un film sur l’exil intérieur ? R. G. : Oui, mais en même temps, il est clair aussi que tout ça est induit et provoqué par un pays, une ville qui est en crise profonde. C’est-à-dire que cet état de fait est directement lié à la difficulté de vie qu’ont ces gens-là. F. V. : Et la musique du film, qui est classique, est-ce pour conférer aux images une dimension intemporelle ? R. G. : Je mets toujours de la musique classique, en fait, pour des raisons effectivement liées à cela. Je crois que ce que j’aime dans la musique classique au cinéma, c’est que c’est intemporel. J’ai même souvent utilisé un morceau de musique classique comme un thème récurrent, ce qui me semblait là aussi tenir un discours un peu emblématique sur le film, pour attirer le film vers un certain niveau de lecture, pour que les gens n’oublient pas d’y lire ce que je veux qu’on y lise ; ce qui est quand même un second degré, puisque je raconte toujours des histoires, et j’y tiens beaucoup, qui sont lisibles au premier degré. Mais j’aime aussi qu’on puisse y trouver d’autres strates, d’autres directions de lecture… F. V. : On trouve justement deux « triangles », deux configurations dans les relations entre les personnages du film. Et en dehors de cela, une espèce de sur-marginalité entre les deux derniers personnages dépeints… R. G. : Bien sûr, tout est évidemment combiné de cette manière-là, puisqu’on peut tout lire après. C’est vrai que ce sont des rapports qui s’entremêlent et peuvent se recouper, la problématique étant toujours la même. F. V. : Et tout cela sans oppositions manichéennes. Il n’y a pas le bien d’un côté et le mal de l’autre. On trouve toujours cette « solidarité sainte de l’artisanat » dont parle Brassens finalement ? R. G. : Oui, il y a de cela, puisque la vie c’est comme ça. Ce sont des comportements qui dans la réalité ne sont pas contradictoires. F. V. : On trouve dans le scénario, qui est très beau, de très belles inventions issues du langage quotidien : le CUL par exemple, qui devient : « Caresse, Union et L’aile d’un ange », parmi d’autres d’ailleurs. R. G. : Oui, effectivement, l’écriture du scénario a sa propre dimension de lecture. F. V. : Et l’aspect pictural, pourquoi l’évocation de Goya alors que dans le Sud vous avez des peintres qui pourraient très bien exprimer ce genre de situation ? R. G. : Là aussi, je dirais, c’est pour charger l’allégorie. C’est utiliser des références pour traduire une métaphore de toute résistance ; mais en même temps je n’y insiste pas, il n’y a pas de plan fixe de ça. Le personnage est vu à genoux, mais en suspension… F. V. : Peut-on parler d’une horizontalité de la foi dans ce film, où l’homme croit à l’homme ? R. G. : Oui, c’est très juste… F. V. : Vous aimez par ailleurs dénoncer l’image unique. Vous sentez-vous proche en ce sens d’un Wim Wenders ? R. G. : C’est un grand cinéaste, en effet, mais je dis cela parce que le cinéma est noyé en tant qu’œuvre, et dilué dans l’industrie audiovisuelle de programmes ; donc, l’œuvre existe de moins en moins. Je suis quelqu’un de très sincère, et en ce sens, je suis dans la problématique de Wenders, qui a « renoncé à faire des films ». Si faire des films, c’est ce qu’on voit à longueur de temps à la télévision, c’est ridicule… Ça n’a plus de sens. Mais je ne suis pas si pessimiste que cela, il existe des cinéastes qui essaient de faire des images. Le monde est original et il faut montrer des réalités différentes. F. V. : Et maintenant, vos projets ? R. G. : J’écris autre chose, mais j’ai envie de continuer avec ces personnages-là. J’imagine en fait ce qui s’est passé un an plus tard pour eux… À la vie, à la mort ! de Robert Guédiguian, avec Ariane Ascaride, Jacques Boudet, Jean-Pierre Darroussin, Jacques Gamblin, Gérard Meylan, Jacques Meylan, Jacques Pieiller, Pascale Roberts.
Fabrice Venturini
|