LES ANNEES CINQUANTE
Le film évoqué ci-dessus est également intéressant du point de vue de la période décrite, car c'est précisément cette idée de dialogue que développeront les années cinquante dans des films destinés aux adolescents. C'est le cas en 1955 de La Fureur de vivre, de Nicholas Ray. William Faulkner le définira comme « la seule tragédie grecque du cinéma américain ». « Les films de James Dean annonçaient déjà le refus du monde des adultes » écrit Annie Goldmann (Le Cinéma, éd. Bordas. p. 172). Dès lors, tout est là, le mal de vivre adolescent, la revendication d'une identité, l'ouverture aux grands mythes.
James Dean fut, est et restera longtemps emblématique de cette difficulté d'intégrer les valeurs d'un monde avec lequel l'adolescent se sent en prise, et c'est le sentiment qu'amplifiera ce cinéma. On trouve là une dimension ontologique très forte. Le héros devient une nécessité, il faut marquer les distances, mourir ou se marginaliser (mort symbolique s'il en est). Plus qu'une interprétation du réel le cinéma adolescent devient une façon d'investir la vie afin d'en reprendre possession. Ainsi, le cinéma allemand a su pousser à son comble cette impossibilité d'intégrer le monde adulte et d'en accepter la réalité des "lois". Roberto Rossellini (Allemagne année zéro) et Volker Schlöndorff (Le Tambour) en sont des exemples marquants. Ce peut être aussi le cas au sein de comédies. Le film d'Yves Robert (la Guerre des Boutons) et celui de Jean Vigo (Zéro de conduite), bien que les personnages soient aussi des enfants, mettent en scène sur un mode ludique l'illustration de conflits les faisant s'opposer farouchement. Ces deux films, trouvent des équivalents structurels dans des films plus récents, dont la trame minimale reste un traitement du phénomène des "bandes". Car la bande est toujours marginale, et souvent en désaccord avec "l’ordre établi" en toile de fond dans tel ou tel scénario. La création cinématographique destinée aux adolescents, a aussi malheureusement suscité un grand nombre de films sans intérêt ni originalité. Agissant comme une sorte de cinéma «minimaliste», l'essence de cette rupture entre les générations s'y est trouvée parcellisée trop souvent avec facilité, donnant néanmoins lieu à de purs chefs d'œuvre, devenus mythiques aujourd'hui...
DU FILM MARCHANDISE AU FILM MYTHIQUE UNE RESONNANCE DU REEL
Plus que tout autre cinéma, le cinéma destiné aux adolescents exprime un langage qui lui est très personnel. Une typologie d'émotions récurrentes et particulières s'articule autour de présupposés qui occultent l’inattendu. C’est ainsi qu’ont été pensés bien des succès : la série des Mad Max, celle des Terminator, et d’autres comme E.T., Wargame, Saturday Night Fever, Back to the Future, la série des Rocky, celle des Rambo etc.. De ce point de vue ce cinéma semble agir comme un filtre : le résolument présent succède à l'imparfait, « il était une fois » devient «aujourd'hui». La notion du temps est souvent essentielle et déterminante dans l’imaginaire de ce cinéma. Le passé légitime le futur plus que le présent donnant ainsi libre accès aux mythologies de toutes sortes (King Kong, Juracic Park etc.) Ainsi force est de constater que ce cinéma peut s'authentifier réellement lorsqu'il est à ce point soumis à des situations aussi fantasques qu’éphémères. C'est précisément là que se distinguent les films-marchandises des films mythiques. Car il s'avère que le cinéma réellement adolescent, historiquement situé, très étendu dans ses rapports avec le réel opère une véritable initiation. Paradoxe, le cinéma adolescent d'aujourd'hui est dans certains cas le «Cinéma adulte» d’hier. Le Lauréat, Macadam Cow-boy, Taxi Driver ou encore Easy Rider en sont autant d’exemples significatifs. Tous caractérisent la révolte grandissante qu’introduisirent les années Cinquante. Macadam Cow-Boy et Easy Rider méritent d'ailleurs une attention plus particulière : tous deux développent l'amitié de deux hommes face à la société et mettent en évidence la mort des personnages. Si le personnage qu'incarne Dustin Hoffman dans Macadam Cowboy meurt en autocar avant d'atteindre la région de ses rêves, les protagonistes d'Easy Rider sont tout deux assassinés alors qu'ils chevauchaient leur moto. « La rivière rejoint la mer» murmurent les Byrds dans The Ballad of Easy Rider : chanson illustrant la dernière image du film. Le schéma initiatique de ces deux films est d'autant plus marqué qu'ils évoquent concrètement les évolutions et les résistances des protagonistes dans leurs luttes pour exister, à travers l'image du voyage et de la route. Cependant, ces réflexions sont à relativiser suivant la source productrice et le matériau utilisé. En considérant Subway, Le Grand Bleu ou Nikita, du réalisateur français Luc Besson, comment penser cette extraordinaire réussite, auprès du public adolescent ? On serait tenté de dire que tous trois forment les wagons d'un même train. Le cadre habituel est toujours sous-jacent. Besson dévie la vision coutumière des choses. Nikita, récupérée par le système, est montrée en "chute libre", son image est celle d'une descente aux enfers. Le métro de Subway dévoile des fonds toujours plus insoupçonnés et Le Grand Bleu achève la course. L’adolescence cible de ce cinéma ne s’interroge plus sur son rôle dans le monde. Elle s'interroge sur les vertus de son existence et sur ses propres, perspectives. Mais n'est-ce pas, là la question même du cinéma actuel destiné aux adolescents?
L'ÉMERGENCE VERS LE PALPABLE
Le fait est qu'aujourd'hui le cinéma a à tenir compte de trop de paramètres nouveaux, pour ne pas avoir du même coup à rechercher d'autres sources d'inspiration. On crée des mythes qu'aussitôt on détruit. Les Nuits fauves ont succédé à La Fureur de Vivre. D'autre part, l'appréhension du réel subit de profondes mutations. L’ère de l'interactivité à laquelle participe amplement le phénomène audiovisuel a sur le film un effet de démembrement : du pin's aux jeux vidéo, en passant par les bandes originales et les clips, tout est fait pour désingulariser et désorienter la création d'un véritable cinéma adolescent. De plus, une filiation certaine s'opère entre le cinéma destiné aux enfants et celui des adolescents : Aladdin ou Roger Rabbit s'imprègnent fortement de la "réalité". Le premier s'inspire des traits de deux acteurs très ciblés par les adolescents : Tom Cruise et Robin Williams. La démarche créative est intéressante si l'on considère les valeurs implicites qu'incarnent ces acteurs : - Robin Williams : Le cercle des poètes disparus est le film qui le caractérise. Il implique le thème de la recherche de l'identité, sentiment typiquement adolescent. - Tom Cruise : Top Gun est le film auquel on le rattache le plus facilement, avec le thème de la rage de vaincre. Ainsi, la communion de ces deux thèmes est-elle caractéristique des attributs de l’adolescence. Roger Rabbit, quant à lui, fait cohabiter images réelles et dessins animés. Dans Aladdin et dans Roger Rabbit l'émergence vers le palpable est donc très prononcée. Le problème aujourd'hui est de savoir si l'aspect référentiel à outrance de ces films ne mènera pas le cinéma adolescent vers une impasse improductive. Cependant, on ne peut conclure cette approche sans souligner l'effort du cinéma dans sa tentative de faire cohabiter sensibilité adolescente et adulte dans un même univers d'images. Car une sorte de conscience collective est favorisée, où illusion et témoignage (c'est à dire aussi bien des récits de fiction que des récits historiques) s'élèvent et s'affirment intensifiant partage, rencontre et communication entre les générations.
Fabrice Venturini
|