Sophie Aymon du visage au portrait, du réel au mystère
Par Jean-Paul Gavard-Perret
Sophie Aymon remet en cause la question du portrait et de l'identité au moyen d'un travail de fond et à travers les "occurrences" qu'elle ouvre loin des projections narcissiques. Par effet de sérialité elle crée une beauté qui n'est pas d'apparence mais d'incorporation. D'une toile à l'autre l'artiste reprend le même projet, s'arrête, avance comme on avance dans la neige. Le visage n'est plus traité de manière à le "psychologiser" mais afin de le détacher de lui-même pour mériter le statut de portrait et non de reportage. Le premier ne serte pas à dévisager mais à envisager autre chose qu'une ressemblance. La "visagéïté" opérée par le langage pictural descend non dans le réel mais aux sources des formes et des couleurs en de longues vibrations de lumière. Contrairement à tant d'artiste qui s'appuie sur la photographie afin de construire le portrait Sophie Aymon s'engage totalement dans et par la peinture pour le composer.
C'est sans doute pourquoi le "dedans" du visage laisse monter la trace et l'ajour d'une existence diffractée, démultipliée par la puissance de l'art. Le silence du regard devient passage entre l'hypnose et la gestation. Et la peinture - à travers de tels portraits et leur multitude fractionnée - semble par l'exercice de la beauté l'approche d'un "qui je suis" qui viendrait torde le cou au "si je suis". Dénaturant les simples effets de réel, l'artiste perturbe les habitudes de reconnaissance. La où la peinture appelle l'absolue nécessité du visage et au moment où la créatrice devient amasseuse de visages sensuels surgit la célébration d'un cérémonial de féerie particulière chaude et glacée.
Le regardeur passe de l'endroit où tout se laisse voir vers un espace où tout se perd dans une forme de mystère. Offrant un profil particulier au visage l'artiste en propose un aussi au temps. Un temps à la fois pulsé - par couleurs, formes et rythmes - et non pulsé - puisque le portrait "fixe". L'arrachant au contact superficiel avec la vie, l'artiste lui en accorde une plus profonde par le feu secret qu''elle fait lever avec autant de délicatesse que d'impertinence. La femme qui surgit de chaque toile chemine dans le regard, ses couleurs chatoient. Le regardeur en devient plus loin, plus près et selon une sorte d'attente illusoire mais attentive de tendres ruissellements. Jean-Paul Gavard-Perret |
Voir également l'article paru dans Salon Littéraire |