Oleg GOUDCOFF par Pierre LITAISE

ecrits sur l'art

Jean Paulhan écrivait à propos de l'informel : « Les anciens peintres commençaient par le sens, et lui trouvaient des signes. Mais les nouveaux commencent par des signes, auxquels il ne reste plus qu'à trouver un sens ». . Il était normal qu'il y eut, parmi les signes orphelins de la débandade du brouhaha et du rififi, de l'informel. Mais sans doute on-t-ils depuis réfléchi sur leur dynastie, puisque voici Oleg Goudcoff et devant ses œuvres l'on peut reprendre aux orties la vieille question que comme un froc on y avait jetée : « Qu'est ce que  cela signifie ? ».

De ce verbe signifier il faudrait parler. Qu'on n'attende pas en tous cas l'explication claire, habitable, clefs en mains. Il est dans la nature de cette oeuvre que son sens ne soit pas citable, explicitable : ses figures le dessinent et ne s'effacent, parfois devant lui, que comme la matière d'un mot dans un discours en résonnant lointainement à travers lui et en occupant longuement l'arrière pensée, l'arrière pays de l'esprit.

Nous ne pouvons employer pour en parler que des images, ces receleuses de sens multiples. La première qui s'impose à moi est celle de l'arbre.

ARBRE, cela rend compte d'un soulèvement puissant à partir de graines infimes, de l'insurrection de jachères visibles dans ce mouvement qui porte le plâtre vers les hauteurs. De la même manière l'arbre prend de la matière, l'éduque, la structure, l'élève et lui assure en haut ce déploiement victorieux de feuilles qui est celui de Cœur à corps, avec une lenteur paysanne il extrait, comme méditant un sens jamais clair bien qu'il apparaisse dans l'éclat de ces feuilles, ces oreilles consacrées à l'air. Et en même temps l'arbre reste splendidement matière obtuse dans son sarrau d'écorce.

Puissante est cette poussée immobile, capable de disjoindre le roc et qui reste attachée à la terre ( Earthbound a-t-on écrit dans le New York Herald Tribune) . Elle est sombre comme un mur et elle est autre chose encore.

Un jour l'on demandait à Oleg Goudcoff ce qu'est pour lui une forêt. La réponse fût instantanée : « Un mur transparent ».

Oleg Goudcoff sculpture A coeur ouvert

Oleg Goudcoff sculpture "A coeur ouvert"

Oleg Goudcoff toile Haute lice 1997 huile sur toile 100 x 81 cm Collection Privée Ile de France Exposition Cabinet d'Avocats Brandi Partners International
Oleg Goudcoff toile Haute lice 1997 huile sur toile 100 x 81 cm Collection Privée Ile de France
Exposition Cabinet d'Avocats Brandi Partners International

Ce mur qui se livre au regards tout en restant mur ( et superbement , nécessairement âpre comme la grande parois dolomitique de A Cœur Ouvert) ce mur qui s'ouvre comme évangile dans un monde qui selon René Char «  de nos jours est hostile aux Transparents » c'est bien l'œuvre de Oleg Goudcoff.

Elle prend véritablement son sens le jour où dans la recherche de la transparence elle vient s'ouvrir, le jour où l'écorce gercée éclate comme éclatèrent sous la poussée de l'âge et des éléments les ormes de Brouage sur les remparts déserts. C'est le creux de l'être, répondant aux vents qui viennent d'une mer lointaine, sans amertume ( nul sentiment ici d'être « floué » selon l'expression d'une mélancolie contemporaine), sans amertume, avec la puissante jubilation de ses lèvres des parois qui bondissent, se séparent, divergent et puis concourent et se joignent.

C'est l'entrain les détours, bousculades et incartades de la vie, et sa générosité. Il faut suivre le mouvement de cette déchirure de l'être qui emmène le regard vers l'intérieur comme dans une faîne écarquillée montrant sa semence.

Vous trouverez des épaulements rocheux inabordables, et des inflexions plus tendres comme dans Cœurs à Corps  – mais finalement toute ligne mène à ce vide qui bée dans l'Archange , magnifiquement là.

La paroi est ce qui vient inépuisablement et étonnamment de ce néant, le peu de matière qui le rend visible. Au centre l'absence du sens dûment constatée et acceptée, comme en témoigne l'envol de ce vide s'enveloppant du manteau de toutes les lignes suffisantes qui le servent et qui sont en même temps des jeux nietzschéens « jeu divin par delà le bien et le mal ». Cette absence du sens est notamment pour moi le sens de l'Archange, faisant écho fraternel à celui de l'ange chez Rielke « tout ange est terrible » , l'ange capable précisément de voir le sens de l'ouvert, aussi vaste que le vide, aussi vaste que le monde. Ces créatures capables (les sculptures de Goudcoff), vivant autour de leur brèche, sont des créatures souveraines qui certes vous tiennent à distance de cette blessure fière , mais pour inviter à l'intraduisible dialogue qui ne peut que naître si l'on entre en elles et se livre au même vent originel.

A ces statues aussi bien qu'aux arbres conviennent les paroles de Nietzsche : « Je suis remonté aux origines : ainsi suis-je devenu étranger à tous les cultes tout à l'entour de moi s'est fait étranger et désert. Mais ce qui en moi inclinait à l'adoration a secrètement germé, alors un arbre a surgi hors de moi, et je suis assis dans son ombre : c'est l'arbre de l'avenir ».

Pierre LITAISE

1978 Catherine Huber, Oleg Goudcoff, Vaguement Vert, Brusse, Dietman & Cie, Musée des Enfants, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris
Erik Dietman, Expressions in the Face of a Genius by F. T. Bidlake, North-Information, Galerie Wallner, 8-26 avril, Malmö,.Suède.

 
Comment passe t-on de la sculpture à la peinture ?

Il semble que pour Oleg Goudcoff, les deux activités aient été consubstantielles de son engagement d’homme et d’artiste sans autre transcendance que celle d’un dépassement de soi inlassablement reconduit. Inébranlable et incorruptible, il quête l’indévoilable mystère de la création. L’expressionisme douloureux renfermé dans toute matière organique ou minérale se heurte à l’immatérialisme, tel que kandinsky le rêvait. L’enjeu existentiel d’Oleg Goudcoff se départit de tout automatisme esthétisé et passe par le risque permanent d’échouer, pire de chuter sans jamais renoncer à conquérir l’impossible, tel Sisyphe.
Voilà que l’œuvre nous apparaît aujourd’hui dans sa vérité. Ce moment rare qui est donné aux historiens de l’art, aux amateurs, nous saisit par le prodige d’une découverte qui nous conduit au seuil d’une révélation intacte.

Rivé aux ressacs chaotiques de la matière, Oleg Goudcoff s’est emparé pareillement des grands espaces de la toile et du papier au beau grain chaud pour y coucher les apparences ravies à la Nature aussi puissamment que le font, le vent dans les branches, l’éclat de la pierre, la terre pétrie, les lumières éphémères.
Qu’attendait-il d’un geste qui se réinventait en permanence ? Figuratif ou non figuratif ? L’attente était ailleurs pour celui qui visait à restituer la forme de l’informe sans davantage chercher à donner un équivalent informe de l’informe. Très tôt une certitude l’habite, que le monde visible est un réservoir où choisir des éléments présupposés authentiques de la vie et du monde cosmique comme si de cette réalité, de celle de leur matière résultait nécessairement l’authenticité de l’esprit.

Formé à la discipline des techniques de sculpture, de la taille directe et du modelage, le respect du passé, ses acquis traditionnels auprès de ses maîtres Marcel Gimond aux Beaux-Arts de Paris et de Gustave Seitz à ceux de Berlin Est, le préparent au langage de la forme, de l’expression, du choix des matériaux et des effets visuels.
Précisément, c’est en questionnant le langage de la forme que Goudcoff met en place un processus de création sans se couper de ses instincts premiers et d’une intuition qui ne le quittera jamais. La sculpture naît à l’intérieur de lui-même et obéit à ses désirs intimes.
On peut facilement établir des éléments de comparaison avec l’arbre et sa métamorphose selon l’écoulement du temps, lent ou accéléré d’une cosmogonie soumise aux poussées originelles. D’autres points convergent avec les structures organiques, les phénomènes de développement et les forces de la nature, rendus visibles. La surface rugueuse de la sculpture subit les assauts de l’érosion naturelle. Ridée, nervurée, déchirée, grattée, elle se fractionne, ouvre des béances, vides mystérieux où s’absorbent nos rêves comme nos cauchemars. Notre introspection fervente l’est autant que l’énergie qui traverse et anime ces formes renouant avec les mythes primitifs, avec les labyrinthes d’où surgissent des humains larvés et tout un bestiaire venus des torrents de lave domptés. L’oxydation des patines renforce les blessures creusées, râpées, en devenant les marques d’une nouvelle identité corporelle. Rodin, Zadkine, Germaine Richier, Giacometti qui le précèdent répondent à l’appel. Les figures anthropomorphes témoignent des pérégrinations de l’âme, des flux vitaux, en leur donnant vie.
Solitaire dans son atelier de la rue Ordener, il débite et sculpte la pierre, gâche le plâtre sur une armature grillagée qui disparaîtra sous sa blancheur. Les expositions, les participations aux salons le sortent d’un silence qui lui convient et qu’il conjure en animant un atelier de sculpture dans le cadre d’un service de psychiatrie infanto-juvénile.
Le contraste est violent avec le milieu artistique parisien.
Sa rupture est sans appel. Il se retire, s’éloigne de Paris. Dans l’isolement de l’atelier dans le Lot-et-Garonne il poursuit son œuvre. La sculpture qu’il poursuit mais aussi et surtout la peinture qui prend une place prépondérante.
La différence entre le figuratif et l’abstraction est inexistante. Rien n’est plus impossible que de savoir si les choses veulent dire quelque chose. La réponse est donnée par le silence dans le travail. Celui de la couleur dans les pigments et l’huile et de la lumière.
Incarner. Telle est sa mission.
Goudcoff désormais vit de son ascèse, des renoncements qui ont abouti à l’engloutissement à tout ce qui pouvait comporter de réponse. Une exceptée, l’absence de sujet ou plutôt d’histoire engage le combat de l’invisible et de la toile blanche. Du fond de son absence silencieuse, le peintre remonte à la surface une image inconnue de lui, imprévue, étrangère à toute réalité, mais non à l’armature émotionnelle délimitée par le châssis. Là commence l’incommensurable espace vital de la peinture. De grands espaces sont travaillés dans la couleur rattrapée par la course d’un dessin introduisant des appels lancés par un geste spontané. Cette intrusion venue de l’extérieur réveille de son audacieuse présence la douceur de la texture vibrante d’une myriade de taches mobiles qui s’interpénètrent par couches sensuelles.
Peinture informelle, puisqu’il faut énoncer ce qui ressort d’une improbabilité et non d’une affirmation. Commencée dans le vide, dans l’attente furtive de l’assaut du geste, la toile se construit sans dessin préalable suivant un contrôle intérieur d’une précision qui exclut tout hasard se conciliant la brièveté soudaine de l’attaque d’un signe.
De cette lente et patiente élaboration, naît une lumière qui endigue tout immobilisme. Le vide est devenu matière, respire, vibre des tons d’une palette subtilement harmonisée de toute la gamme de gris nuancés, d’un rose ardent, de bruns crépusculaires, d’ocres, d’orangé, assaillis par de larges traits soulignant par des couleurs franches et contrastées – rouge, vert, jaune, outremer – des formes géométriques relâchées. Le coloriste orchestre des dissonances, savoure ces contrastes sur ces nappes colorées traversées de blancs et de noirs sibyllins. Il installe un dialogue entre fluidité et opacité, qui se sous-tend de la présence physique de beaux papiers choisis avec soin, qui seront ultérieurement marouflés.
Parvenu à transfigurer l’espace par la couleur et par la lumière, Oleg Goudcoff leste une peinture somptueuse. La poésie qui s’en dégage suspend le temps et permet à notre imaginaire une évasion qui ne concède aucune concession à la mode.
L’artiste a trouvé le chemin de sa liberté.

© Lydia Harambourg
Historienne de l’art
Correspondant de l’Académie des Beaux-Arts,
Institut de France

 

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