Jean Paulhan écrivait à propos de l'informel : « Les anciens peintres commençaient par le sens, et lui trouvaient des signes. Mais les nouveaux commencent par des signes, auxquels il ne reste plus qu'à trouver un sens ». . Il était normal qu'il y eut, parmi les signes orphelins de la débandade du brouhaha et du rififi, de l'informel. Mais sans doute on-t-ils depuis réfléchi sur leur dynastie, puisque voici Oleg Goudcoff et devant ses œuvres l'on peut reprendre aux orties la vieille question que comme un froc on y avait jetée : « Qu'est ce que cela signifie ? ».
De ce verbe signifier il faudrait parler. Qu'on n'attende pas en tous cas l'explication claire, habitable, clefs en mains. Il est dans la nature de cette oeuvre que son sens ne soit pas citable, explicitable : ses figures le dessinent et ne s'effacent, parfois devant lui, que comme la matière d'un mot dans un discours en résonnant lointainement à travers lui et en occupant longuement l'arrière pensée, l'arrière pays de l'esprit.
Nous ne pouvons employer pour en parler que des images, ces receleuses de sens multiples. La première qui s'impose à moi est celle de l'arbre.
ARBRE, cela rend compte d'un soulèvement puissant à partir de graines infimes, de l'insurrection de jachères visibles dans ce mouvement qui porte le plâtre vers les hauteurs. De la même manière l'arbre prend de la matière, l'éduque, la structure, l'élève et lui assure en haut ce déploiement victorieux de feuilles qui est celui de Cœur à corps, avec une lenteur paysanne il extrait, comme méditant un sens jamais clair bien qu'il apparaisse dans l'éclat de ces feuilles, ces oreilles consacrées à l'air. Et en même temps l'arbre reste splendidement matière obtuse dans son sarrau d'écorce.
Puissante est cette poussée immobile, capable de disjoindre le roc et qui reste attachée à la terre ( Earthbound a-t-on écrit dans le New York Herald Tribune) . Elle est sombre comme un mur et elle est autre chose encore.
Un jour l'on demandait à Oleg Goudcoff ce qu'est pour lui une forêt. La réponse fût instantanée : « Un mur transparent ».
Oleg Goudcoff sculpture "A coeur ouvert"
Oleg Goudcoff toile Haute lice 1997 huile sur toile 100 x 81 cm Collection Privée Ile de France Exposition Cabinet d'Avocats Brandi Partners International |
Ce mur qui se livre au regards tout en restant mur ( et superbement , nécessairement âpre comme la grande parois dolomitique de A Cœur Ouvert) ce mur qui s'ouvre comme évangile dans un monde qui selon René Char « de nos jours est hostile aux Transparents » c'est bien l'œuvre de Oleg Goudcoff. Elle prend véritablement son sens le jour où dans la recherche de la transparence elle vient s'ouvrir, le jour où l'écorce gercée éclate comme éclatèrent sous la poussée de l'âge et des éléments les ormes de Brouage sur les remparts déserts. C'est le creux de l'être, répondant aux vents qui viennent d'une mer lointaine, sans amertume ( nul sentiment ici d'être « floué » selon l'expression d'une mélancolie contemporaine), sans amertume, avec la puissante jubilation de ses lèvres des parois qui bondissent, se séparent, divergent et puis concourent et se joignent. C'est l'entrain les détours, bousculades et incartades de la vie, et sa générosité. Il faut suivre le mouvement de cette déchirure de l'être qui emmène le regard vers l'intérieur comme dans une faîne écarquillée montrant sa semence. Vous trouverez des épaulements rocheux inabordables, et des inflexions plus tendres comme dans Cœurs à Corps – mais finalement toute ligne mène à ce vide qui bée dans l'Archange , magnifiquement là. La paroi est ce qui vient inépuisablement et étonnamment de ce néant, le peu de matière qui le rend visible. Au centre l'absence du sens dûment constatée et acceptée, comme en témoigne l'envol de ce vide s'enveloppant du manteau de toutes les lignes suffisantes qui le servent et qui sont en même temps des jeux nietzschéens « jeu divin par delà le bien et le mal ». Cette absence du sens est notamment pour moi le sens de l'Archange, faisant écho fraternel à celui de l'ange chez Rielke « tout ange est terrible » , l'ange capable précisément de voir le sens de l'ouvert, aussi vaste que le vide, aussi vaste que le monde. Ces créatures capables (les sculptures de Goudcoff), vivant autour de leur brèche, sont des créatures souveraines qui certes vous tiennent à distance de cette blessure fière , mais pour inviter à l'intraduisible dialogue qui ne peut que naître si l'on entre en elles et se livre au même vent originel. A ces statues aussi bien qu'aux arbres conviennent les paroles de Nietzsche : « Je suis remonté aux origines : ainsi suis-je devenu étranger à tous les cultes tout à l'entour de moi s'est fait étranger et désert. Mais ce qui en moi inclinait à l'adoration a secrètement germé, alors un arbre a surgi hors de moi, et je suis assis dans son ombre : c'est l'arbre de l'avenir ». Pierre LITAISE 1978 Catherine Huber, Oleg Goudcoff, Vaguement Vert, Brusse, Dietman & Cie, Musée des Enfants, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris |
Comment passe t-on de la sculpture à la peinture ? |
Il semble que pour Oleg Goudcoff, les deux activités aient été consubstantielles de son engagement d’homme et d’artiste sans autre transcendance que celle d’un dépassement de soi inlassablement reconduit. Inébranlable et incorruptible, il quête l’indévoilable mystère de la création. L’expressionisme douloureux renfermé dans toute matière organique ou minérale se heurte à l’immatérialisme, tel que kandinsky le rêvait. L’enjeu existentiel d’Oleg Goudcoff se départit de tout automatisme esthétisé et passe par le risque permanent d’échouer, pire de chuter sans jamais renoncer à conquérir l’impossible, tel Sisyphe. Formé à la discipline des techniques de sculpture, de la taille directe et du modelage, le respect du passé, ses acquis traditionnels auprès de ses maîtres Marcel Gimond aux Beaux-Arts de Paris et de Gustave Seitz à ceux de Berlin Est, le préparent au langage de la forme, de l’expression, du choix des matériaux et des effets visuels. © Lydia Harambourg |