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Otto Dix Bildnis des Tänzerin Anita Berber Portrait de la danseuse Anita Berber 1925 |
Pensées pour un large public, les oeuvres évitent spiritualité, psychologie et sentiments au profit de l’observation immédiate du réel. Le dessin est précis et d’après nature, les teintes assez neutres, les sujets tirés de l’observation des bouleversements sociaux qui s’opèrent dans le quotidien de chacun. On l’a vu, la société allemande est humiliée mais la honte de la défaite est tellement insupportable qu’on feint de l’ignorer. L’iconographie reprend donc à son compte cette apparente indifférence et propose des portraits dénués de tout sentiment mais caractérisés par les différences sociales affichées. L’iconographie ne révèle plus la personnalité ou les sentiments personnels mais un constat factuel sur les caractéristiques sociales et leurs stéréotypes. Ce réalisme d’une nouvelle sorte associe les paradoxes : véracité et étrangeté, rêve et réalité, précision du trait et couleurs irréelles. L’image de l’uniformisation de la société allemande est conçue, soit pour l’approuver, soit pour en faire une critique sociale. |
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Karl Hubbuch Zweimal Hilde ( Deux foie Hilde 1929 Huile sur toile Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne Munich |
Une culture populaire se met en place qui concerne tous les arts (2) : le jazz et le Fox-trot autant que l’opérette séduisent les Allemands, la littérature devient simple et immédiatement compréhensible, la poésie est en prose et éducative, les cabarets (y compris les clubs d’homosexuels et de travestis tolérés par la police) et les music-halls se multiplient, le cinéma devient réaliste jusqu’à la violence. L’architecture se transforme également et tente de répondre en toute hâte à la nécessité de l’après guerre en construisant des logements uniformes, sur des modèles simples, efficaces et rationnels. Le mobilier est également uniformisé, industrialisé et tubulaire (3) donc bon marché et qui nécessite peu d’espace. |
Les femmes, qui avaient fait leurs preuves durant la guerre et avaient obtenu le droit de vote en 1917, occupent désormais une nouvelle place dans la société. Leur émancipation est visible jusqu’à leur permettre d’adopter une apparence androgyne, mieux adaptée à leurs nouveaux rôles. Cependant, bien que bien implantées dans le monde du travail et si bon nombre d’entre elles sont devenues financièrement indépendantes, les conservateurs de l’après guerre pencheraient plutôt pour un retour en arrière. Les plus fragiles sont touchées de plein fouet, de nouveau évincées du monde du travail pour rendre leurs emplois aux ouvriers encore aptes à travailler au retour de la guerre. La modernisation du pays ne profite pas aux plus démunis que l’on éloigne vers la périphérie des villes comme pour les faire disparaitre. Ils sont abandonnés économiquement et socialement à leur sort et l’élite communiste devient la voix de cette majorité silencieuse des laissés pour compte (femmes au foyer, ouvriers, chômeurs, mendiants). Les artistes vont tantôt mettre en évidence la désillusion du peuple allemand et les inégalités sociales nouvellement engendrées par la reconstruction du pays, tantôt souligner l’organisation rationnelle de la société allemande |
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Rudolf Dischinger Grammophon - Gramophone 1930 huile sur contreplaqué Städtische Museen Freiburg, Museum für Neue Kunst, Fribourg-en-Brisgau |
La Nouvelle Objectivité s’impose comme nouveau genre pictural. |
La peinture autant que la photographie s’expriment de manière neutre et désenchantée. Dénués de toute personnalisation et de tout sentiment, les arts montrent un monde où la mécanisation et la rationalisation ont pris le dessus sur l’humain. Les photographes en sont les témoins privilégiés et leur photographies sont autant esthétiques qu’anthropologiques. Leur perception des individus prend désormais en compte le travail et non plus la naissance ou la hiérarchie et les portraits, qu’ils soient peints ou photographiques, présentent des catégories socio-professionnelles identifiables par leurs caractéristiques vestimentaires et leurs attitudes physiques spécifiques. Les arts imposent une sorte d’étrangeté, une froideur qui met mal à l’aise et que l’on décèle dans les arts visuels mais aussi dans la littérature ou le théâtre. Bertold Brecht et Herman Broch sont de bons exemples qui expriment la réalité tragique de leur époque. Les paysages comme les natures mortes et les intérieurs, impersonnels et figés, ne montrent rien de plus que ce qu’ils sont et la vacuité de l’existence transparait dans cette fixité.
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Otto Dix An die Schönheit ( Selbstbildnis ) A la beauté (Autoportrait ) 1922 Huile sur toile Von der Heydt-Museum Wuppertal Exposé à Mannheim en 1925 |
La touche expressionniste, colorée empâtée et mouvementée, est abandonnée au profit d’une peinture lisse et froide qui correspond mieux à l’air du temps. La manière sert le propos et les choses sont décrites sans artifices, avec distance, c’est à dire en toute objectivité, même si le nouveau naturalisme semble hétérogène. On remarque des tendances qui peuvent être assez différentes. A l’instar de Christian Schad, certains, qui constituent l’aile droite de ce courant,s’expriment par un retour au classicisme, nationaliste et conservateur. Ils rapportent des faits, sans concessions ni approbation et leur regard reste froid même s’il s’avère parfois impitoyable. A l’inverse, d’autres comme Georges Grosz ou Otto Dix, qui constituent l’aile gauche des intellectuels allemands, adoptent un langage plus révolutionnaire et donc critique et se placent clairement du côté du prolétariat. |
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George Grosz Porträt des Schriftstellers Portrait de l'écrivain Max Hermann-NeiSe 1925 Huile sur toile Exposition Kunshalle de Mannheim 1925 Acquise par le Musée à cette date |
Malgré les divergences, tous constatent le changement des mentalités et l’émergence de nouveaux types sociaux. Et, bien que la période s’avère plutôt morose, on ne s’est jamais autant amusé, notamment à Berlin qui devient la ville de tous les excès. L’Allemagne connait alors une frénésie créative et festive qui se traduit par une grande liberté des moeurs. Mais la fête sonne faux et, malgré un intérêt certain pour les progrès technologiques, la mécanisation et l’industrialisation qui apportent de nombreux avantages, la réalité montre que le progrès n’est pas au service de tous. Les artistes se font l’écho du dysfonctionnement économique et, par conséquent social de l’après guerre, mais la Nouvelle Objectivité n’aura pas une longue existence. Pourtant, même si ce courant est propre à l’Allemagne de l’après guerre, il aura quelque influence sur la France et l’Italie et contribuera largement à la naissance de l’art moderne.(4) L’exposition au Centre Pompidou a le mérite de proposer une vision globale et pluridisciplinaire sur la Nouvelle Objectivité, au regard des évènements historiques, économiques et sociaux des années 20. C’est l’occasion de se replonger dans l’histoire mais aussi d’aborder des aspects mal connus bien que fondamentaux pour l’émergence de l’art moderne dans l’histoire de l’art. Le progrès puis le déclin de la société allemande dans les années 30 entraineront la montée en puissance du chancelier Hitler puis la Seconde Guerre mondiale. |
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Hans Baluschek Sommerabend ( Soir d'été ) 1928 huile sur toile Berlinische Galerie, Landesmuseum für Modern Künst, Fotographie und Architektur Berlin |
Les artistes nés entre 1920 et 1940 en subiront les conséquences de plein fouet et ce sont les Italiens cette fois qui exprimeront dans leurs oeuvres leur désir de changement. C’est ce que l’on peut voir dans l’ exposition ‘‘Vita Nuova’’, présentée au MAMAC de Nice, qui aborde la création de la nouvelle génération d’artistes transalpins dans les années soixante. L’exposition, pluridisciplinaire, explore les changements de société, similaires à ceux connus par l’Allemagne précédemment (miracle économique, reconstruction hâtive, industrialisation, instabilité politique), Ces changements, et leurs travers, vécus par les jeunes artistes de cette période, toucheront peintres et photographes italiens et inspirera brillamment le cinéma réaliste italien. Deux pages d’histoire s’exposent de manière pertinente à Paris et se lisent au travers de l’histoire de l’art ….
(1) Au même moment nait le réalisme Magique en Italie, la Peinture Métaphysique en France et l’intérêt pour la mécanisation sous l’influence de Fernand Leger.
(2) Peinture, sculpture, littérature poésie, théâtre, danse, photographie, cinéma, architecture, design graphique ou mobilier, arts décoratifs…
(3) Les logements sont petits mais aérés et avec tout le confort moderne pour répondre aux nouveaux critères. Ainsi, la cuisine est aménagée afin de minimiser et donc rationaliser les déplacements de la ménagère.
(4) En France notamment au regard de l’oeuvre de Fernand Léger. En Italie avec Antonietta Raphael, Mario Mafai, Scipione…. qui en reprendront technique et sujets avec le Réalisme Magique et l’Ecole Romaine (entre 1928 et 1945)
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