LUCIEN CLERGUE
Grand Palais, Galeries nationales
Les premiers albums
14 novembre 2015 - 15 février 2016Lucien Clergue, les premiers albums
Lucien Clergue (1934-2014) n’a pas vingt ans lorsque, en 1953, à la sortie d’une corrida à Arles, il présente ses premières photos à Pablo Picasso. Ce sera le point de départ de vingt ans d’amitié. C’est grâce à la découverte d’albums de travail, à la mort du photographe, que l’on peut comprendre la fulgurance et la noire poésie qui ont séduit Picasso et plus tard Jean Cocteau. Les sept catalogues dont les échantillons de tissus ont été remplacés par des planches-contacts, présentent les thèmes les plus radicaux de Lucien Clergue : charognes, ruines, saltimbanques et pierrots mélancoliques, très vite, sa série sur les taureaux qui apporte un regard inédit sur la corrida, puis les premiers nus.
Élevé par sa seule mère, qui le pousse à devenir violoniste, Lucien Clergue a dix ans lorsque les bombardements d’août 1944 détruisent leur maison. Sa mère tombera malade et décèdera peu de temps après.
Sa photographie se situe d’emblée dans le champ conceptuel, loin de la photographie humaniste française alors en cours. Son adolescence douloureuse et l’omniprésence de la mort transparaissent dans ses premières recherches. C’est plus tard, pour retenir ses camarades qui le trouvent trop dramatique, qu’il commence timidement à faire des nus.
Lucien Clergue Née de la vague Camargue,1966 tirage moderne argentique 60 x 50 cm © Atelier Lucien Clergue |
Puis les corps des femmes sur les plages de Camargue semblent surgir de l’eau avec une joie vitale inédite en photographie. Les visages sont absents, faisant place à des formes généreuses, sensuelles, libres. Ces photos, qui préfigurent la révolution sexuelle des années 1960-1970, lui procurent une très grande notoriété. Très tôt collectionné, il est un des rares français à exposer au Museum of Modern Art de New York dès 1961. A son retour il est convaincu qu’il faut créer une collection de photographies. En 1965, avec son ami d’enfance, Jean-Maurice Rouquette, conservateur du patrimoine arlésien, ils écrivent à quarante photographes qui leur donnent des tirages. C’est, au musée Réattu d’Arles, le socle de la première collection française de photographie contemporaine. En 1969 les mêmes, associés au prix Goncourt Michel Tournier, créent les Rencontres internationales de la photographie. Suivie en 1982, avec l’aide de Maryse et Antoine Cordesse notamment, de la création à Arles de l’École nationale supérieure de la photographie par le président de la République François Mitterrand. |
Arles après les bombes Les albums La fulgurance. Voilà ce que révèlent ces sept albums de planches-contacts, oubliés puis retrouvés dans l’atelier de Lucien Clergue après sa disparition. L’âme tourmentée par une adolescence douloureuse, mais fort d’une assurance dispensée par sa mère qui voit en lui un artiste en devenir, Lucien Clergue trouve rapidement les moyens de traduire sa mélancolie par la photographie qu’il commence tout juste à pratiquer. Dans le commerce familial ou chez un fournisseur du voisinage, il récupère des catalogues de tissus dont il arrache les échantillons pour coller à leur place les contacts de ses négatifs. Les albums correspondent aux collections saisonnières des fabricants ; ils sont donc datés, ce qui en fait ainsi des documents pour l’Histoire. Véritable outil de recherche de la meilleure image – le négatif grand format en permet une grande lisibilité – les albums montrent, page après page, image par image, la progression du travail de Lucien Clergue, ses hésitations, ses intuitions, ses certitudes, ses avancées vers ce qui constituera la quintessence de son oeuvre. Cette pratique n’est plus possible aujourd’hui pour les photographes, le numérique ayant fait disparaître les planches-contacts sur papier ; pour les adeptes de l’argentique, les planches-contacts, récentes ou historiques, avec leurs annotations, leur sélection au crayon gras, sont l’objet de tous les soins. La série d’albums s’arrête en 1956. Lucien Clergue abandonne en effet cette pratique au fur et à mesure qu’il prend pleinement possession de son métier, conscient de la direction qu’il veut donner à son travail et de sa place parmi les photographes. Ces albums, qui s’inscrivent dans un court laps de temps et qui indiquent très tôt les axes forts de l’oeuvre de Lucien Clergue ainsi que la puissance de son intuition dès ses débuts dans la photographie, ont très naturellement constitué le fil conducteur de cette première exposition majeure de Lucien Clergue, un an après sa disparition. Ruines, cimetières, saltimbanques, charognes Picasso, Cocteau, Saint-John Perse Lucien Clergue Intuitive au début, la photographie de Lucien Clergue a été encouragée, alors qu’il a à peine vingt ans, par les avis et le soutien déterminants des maîtres qu’il se choisit : à la sortie d’une corrida, il va présenter son travail à Pablo Picasso, qui le considère avec bienveillance et lui conseille de rencontrer Jean Cocteau. De cette rencontre qui a lieu en 1956 naît une relation suivie avec les deux hommes, qu’il rencontrera très régulièrement à Arles, Paris, Mougins ou Cannes, et leur présentera Manitas de Plata… Picasso, dessinera les couvertures de ses premiers livres et Jean Cocteau le conseillera pour le choix de ses titres et rédigera des textes pour accompagner ses photos. Cocteau invite Lucien Clergue à participer au tournage du Testament d’Orphée dans les carrières des Baux-de-Provence. Jean-Maurice Rouquette fait remarquer à Lucien Clergue la proximité du poème Amers (1957) de Saint-John Perse avec ses photographies. Un concours de circonstances fait peu après se rencontrer le photographe et le poète diplomate, avec qui il se liera à son tour et pour lequel il illustrera une réédition du fameux poème. Les Gitans Lucien Clergue Toros Les premiers nus Fresque cinétique Langage des sables |
CHRONOLOGIE |
1934 — Né le 14 août, à Arles, Bouches-du-Rhône, de parents commerçants. Commence à étudier le violon dès l’âge de sept ans. 1944 — Profondément affecté par la guerre au cours de laquelle sa maison est détruite. 1949 — Sa mère lui offre son premier appareil photographique. 1952 — Mort de sa mère. Arrêt des études en seconde pour travailler dans les magasins du Lion d’Arles, qu’il appelle « l’usine ». 1953 — Rencontre Picasso à Arles. Voyage en Espagne. Publication de ses premières photographies dans le quotidien Le Provençal. 1954 — Passionné par le théâtre qu’il découvre à Avignon grâce à Jean Vilar, il photographie les acteurs de la pièce Jules César, de Shakespeare, montée par Jean Renoir aux arènes d’Arles. Début de la série Les Saltimbanques qu’il photographie pendant huit mois dans les ruines d’Arles. 1955 — Visite chez Picasso, dans son atelier de Cannes. Début des séries sur les charognes. Découvre le guitariste Manitas de Plata aux Saintes-Maries-de-la-Mer. 1956 — Rencontre Jean Cocteau. Premiers nus sur les plages de Camargue. 1957 — Cocteau lui présente Max Ernst qui devient son premier collectionneur en lui achetant la suite Flamants morts dans les sables. 1959 — Quitte « l’usine » le 31 décembre pour devenir photographe indépendant. À l’invitation de Cocteau, il photographie le tournage du film Le Testament d’Orphée. Création des décors de Le jour où la terre tremblera pour les Ballets modernes de Paris. 1960 — Edward Steichen achète neuf épreuves pour les collections du Museum of Modern Art de New York (MoMA). 1961 — Premier voyage à New York à l’invitation d’Edward Steichen. Exposition « Diogenes With a Camera V » au MoMA. Rencontre Marcel Breuer, qui lui offre son Rolleiflex, Alexey Brodovitch, W. Eugene Smith, Robert Frank et Grace Mayer. 1962 — Oscar Niemeyer l’invite à venir à Brasilia. Jean-Marie Drot réalise Journal de voyage en pays d’Arles pour la télévision. 1963 — Mariage avec Yolande Wartel. Naissance de leur fille, Anne. Voyage en Inde où il photographie la ville de Chandigarh conçue par Le Corbusier. 1965 — Travaille dans le marais camarguais. Rencontre avec le poète Saint-John Perse. Devient conseiller à la création du département de photographie du musée Réattu, Arles. 1966 — Prix Louis Lumière pour Le Drame du taureau, court métrage en noir et blanc. Michel Tournier produit deux émissions concernant son travail pour la télévision française. Naissance d’Olivia, dont Picasso sera le parrain. 1968 — Dirige le film Picasso, guerre, amour et paix pour la série Museum Without Walls, produite par Universal Pictures. Son film Delta de sel (1967) est sélectionné au Festival de Cannes et aux Oscars. 1969 — Picasso l’invite à filmer son atelier de sculpture. Il séjourne plusieurs jours chez lui à Mougins. Devient directeur artistique du Festival d’Arles, où il crée les Rencontres internationales de la photographie avec Jean-Maurice Rouquette et Michel Tournier. 1970 — Premiers nus en forêt. Premières manifestations publiques des Rencontres internationales de la photographie. 1971 — Accomplit le tour du monde en 55 jours. Rencontre Ansel Adams à Carmel, Californie, où il photographie la réserve naturelle de Point Lobos. 1972 — Crée les décors du ballet Orlando Furioso présenté au théâtre La Fenice de Venise. 1973 — La disparition de Pablo Picasso l’affecte particulièrement. 1974 — Invite Ansel Adams aux Rencontres internationales de la photographie à Arles, et participe à un atelier aux États-Unis comme invité d’Ansel Adams. Élu à l’Académie d’Arles, devient enseignant à l’université de Provence, Marseille, et maître de conférences en Scandinavie. Voyage à Léningrad, où il rencontre Aleksandras Macijauskas, à Varsovie et à Prague, où il rencontre Josef Sudek et Jan Saudek. 1975 — Premiers nus urbains à Paris et New York ; commence à s’intéresser à la photographie en couleurs. La série Langage des sables est achetée par le Centre national d’art contemporain (CNAC) pour les collections du futur Centre Pompidou, Paris. 1976 — Cesse son activité de directeur du Festival d’Arles pour se consacrer au développement des Rencontres internationales de la photographie, dont il devient directeur artistique. 1977 — Mort de son père. 1978 — Enseignant invité en République fédérale d’Allemagne. 1979 — Présente sa thèse de doctorat de 3e cycle en photographie, Langage des sables, à l’université de Provence, Marseille. C’est un doctorat sans texte ni parole, uniquement des images, soutenu notamment devant Roland Barthes. 1980 — Premiers nus dans le désert américain. Chevalier de l’Ordre national du Mérite. 1981 — Premiers travaux au Polaroïd. Conférence au Metropolitan Museum of Art, New York, pour le centenaire de la naissance de Picasso. 1982 — Ouverture de l’École nationale supérieure de la photographie (ENSP) à Arles, dans laquelle il enseigne jusqu’en 1999. 1983 — Invité au musée Unterlinden de Colmar pour réaliser une variation sur le Retable de Grünewald. Directeur artistique des Rencontres internationales de la photographie. Invité comme enseignant lors du dernier stage encadré par Ansel Adams à Carmel, Californie. 1985 — Directeur artistique du Festival de Danse d’Arles. 1986 — Invité à la Photokina, Cologne. Photographer of the Year, Higashikawa, Japon. 1987 — Travaille avec les peintres Paul Jenkins et Karel Appel autour de leurs ballets présentés à Paris, salle Favart. 1989 — Invité d’honneur des XXe Rencontres internationales de la photographie d’Arles. 1990 — Voyage en Lituanie où il rencontre ses collègues photographes de Vilnius et de Kaunas. Premières surimpressions en couleurs corridas-nus (Floride). Premier professeur étranger invité à enseigner à l’université d’Osaka, Japon. 1991 — Entreprend un travail sur la Vénus d’Arles au Louvre. Monte pour les XXIIe Rencontres internationales de la photographie d’Arles une exposition consacrée à Tina Modotti et Edward Weston. 1992 — Entre dans les collections du Fonds national d’art contemporain (FNAC), Paris. 1993 — Réalise avec le pianiste Stéphane Kochoyan un spectacle audiovisuel, Jazz y Toros, créé à l’Opéra de Nîmes et repris au Théatre antique d’Arles pour les XXIVe Rencontres internationales de la photographie, ainsi qu’à Bayonne et à Béziers (avec le trio de jazz Kochoyan / Humair / Labarrière). 1994 — Directeur artistique de la XXVe édition des Rencontres internationales de la photographie d’Arles. Entre dans les collections de la Maison européenne de la photographie (MEP), Paris. 1995 — L’université d’Harvard, Cambridge, Massachusetts, reçoit une donation de 450 oeuvres de Lucien Clergue offertes par la collectionneuse bâloise Charlotte Reber. 1996 — Conférence à l’université d’Harvard, Cambridge, Massachusetts, pour la réception de la donation Reber. Primé au World Press Photo, Amsterdam. 1998 — Marina Staehelin, collectionneuse, offre à plusieurs musées suisses la totalité de la collection de photographies qu’elle et son mari ont réunie pendant près de trente-cinq ans. 1999 — Invité à la XXXe édition des Rencontres internationales de la photographie d’Arles. 2000 — Prix « Une vie pour la photographie », Benevento, Italie. 2001 — Interdit à Cuba par l’administration de Fidel Castro ; raison invoquée : « Photographe de nu. » 2002 — Invité d’honneur pour les cinquante ans de la Feria de Nîmes au musée des Beaux-Arts. 2003 — Invité d’honneur au colloque international « Échec et succès en créativité », organisé par Creando à Interlaken, en Suisse. Chevalier de la Légion d’honneur. 2005 — Lucie Award, Oustanding Life in Fine Arts Photography, New York. 2006 — Premier photographe élu à l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France, Paris. Ouvre la VIIIe section consacrée à la photographie. 2007 — Réception sous la Coupole de l’Institut de France le 10 octobre. Christian Lacroix réalise son habit et son épée d’académicien. 2008 — Création de l’Association Lucien Clergue en Pays d’Arles. Commandeur des Arts et des Lettres. 2011 — Invité d’honneur au Nordic Light International Festival of Photography, Kristiansund, Norvège. 2013 — Nommé président de l’Académie des beaux-arts. 2014 — Meurt le 15 novembre à Nîmes. 2015 — Les XLVIe Rencontres internationales de la photographie d’Arles lui sont dédiées. La Ville de Nîmes lui rend hommage en choisissant une surimpression pour l’affiche de la Feria 2015. Nuit de la photographie, « Calligraphie musicale, hommage à Lucien Clergue », La Chaux-de-Fonds, Suisse. Prix posthume de la fondation Manuel Rivera-Ortiz, Arles. |