Etablies en prévision de l’exposition rétrospective 1941-1973 intitulée "La liberté de peindre" qui aura lieu du 27 Mars au 26 Avril 2020 à Mers-les-bains, les notes qui suivent mêlent considérations historiques et confidences privées.
Elles vous familiariseront avec cet artiste dont la vivacité d’esprit, la culture étendue, la perpétuelle inquiétude, l’humour dévorant, la générosité de cœur, mais aussi les aspects les plus sombres de son tempérament, ont fortement impressionné ses amis et proches.
- « Pour des artistes tels que Michel Patrix, l'art est une aventure. C'est aussi une expérience vivante. Son activité est désintéressée. Elle se situe sciemment en marge des postulats de l'École de Paris. Elle traduit une volonté de choix qui s'écarte de la norme et une vocation qui échappe totalement à l'emprise de la mode. C'est une activité personnelle et individuelle qui côtoie l'anarchie. Elle n'est concevable que dans un pays libre qui se targue d'ignorer les contraintes esthétiques. Comme la plupart des peintres de sa génération, Michel Patrix subit (ou a subi) la puissante attraction du cubisme, mais il a adopté devant les découvertes de ses prédécesseurs une attitude nouvelle et indisciplinée. » - Waldemar George
Difficile en effet d’évoquer cette personnalité complexe, férue de philosophie, d’anthropologie, d’archéologie, de musique, d’histoire et de poésie.
Michel Patrix disait avoir été marqué par le fait de porter la version masculine du prénom de sa soeur ainée Micheline décédée en bas âge d’une méningite. Peut être est-ce dans le défi que sa naissance a représenté pour ses parents qu’il faut chercher les tendances héroïques de celui que ses collègues de la jeune peinture Parisienne des années 50 surnommait ‘l’increvable”?.
Ce que nous vous confierons aujourd’hui commence en 1935 alors que Michel jeune homme de 18 ans formé chez les jésuites, précocement en possession de ses deux bacs « philo » avec mention honorable, rompt avec son père ingénieur qui souhaitait le voir entreprendre « math élem’ » et entrer à l’école des arts et métiers afin de reprendre la direction de son usine de machine outil de fabrication de contreplaqué. On entendait en 68, prétendre à l’universalité du « conflit de génération ». Je pense qu’une bonne part de la polarisation des tensions entre jeunesse entreprenante et sagesse précautionneuse des aînées découle de l’esprit de concurrence généré par l’Ere industrielle. Aux raisons économiques, qui ont poussé les jeunes à abandonner l’expérience de leurs ainés pour la survie, s’est encore ajouté la déstabilisation dûe à vélocité accrue de l’information. Ainsi, ce n’est pas l’attrait d’une vie matériellement plus aisée ou celui de la réussite sociale mais bien plutôt celui du foisonnement inter culturel dont Paris s’est trouvé être un creuset notable à cette époque. Sa curiosité pour le surréalisme, le hot five et le blues, Bix Berdebeike, Johnny Hodge, Trenet, Cendrars, Gurdjief, Kandinsky, …, a poussé ce jeune bourgeois à tourner le dos au conservatisme traditionnel jugé tristement rigide et obsolète de son père pour se tourner joyeusement vers l’innovation. |
Dès lors depuis l’effervescente naissance du jazz, jusqu’à la croissance, dans les années soixante, des aspirations écologiques et équitables de l’esprit communautaire qui fleurit encore de nos jours avec le développement des « commons » et de l’économie dite “relationnelle”, en passant par les Zazous, l’existentialisme, la pataphysique, le féminisme, le bebop, le Rock, la musique dodécaphonique, la révolution de 68, la cinquième internationale, les black panthers, la libération sexuelle, les expériences psychotropes et les amours échangistes de la période Hippies, rien de ce qui émergeait de neuf dans l’époque qu’il a traversé ne l’a laissé indifférent. Ce que je sais du tableau « d’un bond allègre » vous évoquera peut être la poésie à la fois iconoclaste et contradictoire de son parcours. Il se disait en famille que le grand père Léon décédé en 49 peu de temps après son épouse Germaine, avait mis à profit ses talents mélomane afin de payer ses études d’ingénieur tout en jouant du violon aux terrasses des brasseries parisiennes. Ce même violon qu’à peine reçu en héritage son fils a détruit sur son épaule à la terrasse de la Coupole tout en singeant un numéro de scie musicale lors d’une improvisation burlesque au cours de laquelle il s'est encore débarrassé du reste de sa récente dotation en prétendant vendre à l’encan à la façon des camelots briseurs d’assiette, la vaisselle bourgeoise toute de cristal et de vieux Rouen héritée de ses parents. |
Or notre maman rappelle que ce tableau fait partie d’un triptyque peint bien des années plus tard, en deuil de l’ami peintre Vincent Guignebert, qui s'est suicidé du haut de la falaise de Fécamp. Le troisième volet semble t’il en est égaré. Le fait que ces deux là soient épargnés de la vente de son fond d’atelier est significatif de l’attachement porté par l’auteur à cette oeuvre. |
Michel Patrix Huile sur toile 150 x 150 cm d'un bond allègre |
Le violon n’est plus symbole d’un odieuse bourgeoisie dont il faut tourner les valeurs en ridicule mais devient l’expression d’un double deuil : vestige nostalgique de l’attachement filial chante ici le vertige de la dissolution poétique de l’être dans la lumière. L’envol apaise. Dans le tableau central le soleil perce la brume alors que les mouettes et l’instrument relient à l’instant même rêve et réalité. |
Maman dit qu'après ce triptyque il n'a plus souhaité peindre de falaise. La série qu'il avait commencée sur ce thème après un séjour prolongé à Yport au printemps 58 s’est ainsi éteinte en 68 au désespoir d’Emanuel David qui avait renoué les liens à cette époque. Ce souvenir nous conforte dans l’idée que le triptyque a été peint après le "Port de Saint Valery" que vous datez par erreur en 72 et qui serait donc lui aussi de 67/68. On peut d’ailleurs reconnaître la gamme identique de terre de sienne, orangé de mars, ocre, bleu de céruléum et de cobalt, de violet de parme dans les œuvres en question. |
Michel Patrix Jour gris au bois |
J'ai d’ailleurs souvenir de l'avoir vu peindre ces travaux bien avant mon départ alors que j'ai quitté la famille en septembre 69 pour un premier voyage en Afrique en 70. A la suite de cette série et toujours avant mon départ, un nouveau sujet composé principalement de scènes hippiques ou champêtre a vu le jour. Une petite toile de cette série représentant des vaches en train de paître a été achetée à maman il y a une quinzaine d'année par le cinéaste et grand ami Jacques Baratier. A propos de cette même période, je pense que la nature morte « crabe et bouquet » est de 1969 plutôt que de 1955 comme vous l'avez stipulé, période au cours de laquelle ses compositions étaient plus nettement post-cubistes et moins "bucoliques" dirais-je. |
Les thèmes ont oscillés tout au long de sa production entre révolte expressionniste et contemplation sensuelle de la matière et de la lumière. Comparez l’exécution spontanée et liquide de cette nature morte avec la matière appuyée et la structure post cubiste de "morts et captifs" et "les maquereaux" datées de 55 dans votre page du musée privé. (J’étais fasciné de voir flocheter les feuilles d’argent avant d’être encastrées une fois plaquées sur la pâte épaisse d’un blanc, en les plissant de la pointe du couteau à peindre). Voyez encore la légèreté quasi bucolique de ce « crabe au bouquet » à côté des fables cruelles des deux autres compositions animalières les comportements humains qu’il trouve sordide tels que la captivité, la condamnation à mort ou l’exploitation sexuelle. |
Michel Patrix huile sur toile 100 x 81 cm Le crabe et bouquet N° Inventaire A206 |
Michel Patrix huile sur toile 97 x 130 cm (60F) juillet 55 A 261 Morts et Captifs 1 |
Les oiseaux plus souvent vifs que mort apparaissent régulièrement dans son travail. Le verre et le cristal, sous forme d’aquarium, de bouteille, de flacon, de boule d’escalier, ou de verre, piège souvent la lumière dans ses natures mortes. De temps à autre ils sont remplis du vin rouge dont la dépendance cyclique hante sa santé.
« Le désordre » film réalisé en 1949 par Jacques Baratier et repris en 1967 dans « le désordre à vingt ans » montre dans un Paris capitale des vainqueurs, une jeunesse surprise d’être en vie, assoiffée de liberté et de poésie, farouchement hédoniste et iconoclaste, décidée à réinventer un monde plus beau de jouir, de rire et d’imaginer. Le groupe de l’Echelle, « un des rares sinon le seul groupe figuratif de l’époque à s’être constitué en dehors de toute ingérence extérieure comme celle de marchands ou critique » nous dit Eric Mercier [1], en est un des plus beaux fleurons. D’une complicité amicale débridée, ces joyeux farceurs sont bien décidés à créer une réalité plus joyeuse que celle subie sous l’occupation.
Bien plus que pour admirer les toits de Paris, la fameuse échelle qui donna son nom au groupe est restée célèbre dans les mémoires des compagnons pour son utilité lors de position érotiques élaborées. Sa réputation “increvable” est venue à Michel Patrix de passer ses nuits d’insomnie à peindre alors que la fête s’est éteinte, laissant tous épuisés. Autant que faire se peut la peinture mais aussi la ténacité et l’humour contrebalancent chez lui les traumas de guerre vécus par sa génération.
[1] La gazette de l’hôtel Drouot, P 155 : « Années 50, peintre de la synthèse », Eric Mercier
Témoignage écrit de la période 42/50 durant laquelle le Groupe de l’Echelle s’est formé, le regretté Jacques Busse qui se trouvait être en quelques sorte de par la nature de leur échanges épistolier, l’autre théoricien du Groupe de l’Echelle, à conservé trace de la correspondance qu’ils entretenaient du temps qu’ils vivaient tout deux rue Neuve Popaincourt.
Jeanne Busse nous confie quelques unes des lettres truculentes de Michel Patrix appelé « Pat » en ces temps d’engouement pour l’énergie libératrice venues des USA. Elle contribue encore de dessins de Jean Cortot établissant comme une sorte de bande dessinée des frasques de la bande.
Sérieusement échaudé par cinq années passées sous les drapeaux après avoir devancé l'appel pour des raisons économiques, Michel Patrix est demeuré jusqu’à la fin de ses jours un pacifiste antimilitariste et anticolonialiste engagé. Il refuse de partir en résidence à Oran; résidence gagnée lors d’un prix dont nous avons perdu la trace.
Alors que les manifestations se multipliaient contre la guerre du Vietnam, il professait avec le sens de la provocation qu’on lui connaît, « d’obliger à l’instar de n’importe quel autre prédateur tout soldat à manger ses victimes ».
« Massacres » de 1946 ; « Requiem » (1949), mais aussi une nouvelle série « massacres » particulièrement virulente peinte lors de la guerre d'Algérie et exposée en 1962 galerie Raffray témoignent de son indignation face à la folie guerrière des humains.
NB : Je prêterai pour l'exposition, "Petits Trous Pas Cher" – 73 X 60 cm-ref A572 : nature morte à dominante bleu blanc et rouge présentant le crâne d'une vache troué de balles et couronnée de laurier.
Michel PATRIX « Petits trous pas chers » - Ref 572 – huile sur toile 60 x 73 cm |
(les crânes utilisés pour ces nature mortes étaient récupérés à l’abattoir, autant dire que çà puait la térébenthine et la décomposition dans la maison lors de cette série). Ayant refusé la croix de guerre qui lui était attribuée pour avoir notamment volontairement convoyé seul des munitions au travers d'un terrain miné, il argue de trouver normal d'avoir réagit contre l'inacceptable et ajoute qu’il aurait préféré ne pas avoir à commettre ce type d’actes. La légèreté revendiquée de la sorte si elle peut paraître honorable dans notre contexte contemporain d’une Europe qui se veut et se prétend pacifiste, s’est avérée franchement inconséquente en d’autres circonstances. En 44, par amitié pour leur mère communiste d’origine hongroise, il héberge la jeune soeur de Thomas Elek jeune engagé dans les FTP MOI âgé de 17 ans, fusillé en février 44, avec 22 autres membres du réseau Manouchian, repris sur l’affiche rouge. Une idylle qui serait aujourd’hui condamnable naît. Marthe Elek donnera en 46 de Michel Patrix naissance à Thomas de qui, elle choisira de confier l'éducation à Louis Stern qu'elle épousera cette fois là pour de bon. Je parlerai peut être un jour des circonstances étonnantes dans lesquelles j’ai appris l’existence et dans le même temps fait connaissance de notre frère Thomas Stern, lui même tout aussi fortuitement informé de la chose depuis quelques années en dépit de la discrétion de sa mère. La magie improbable de nos retrouvailles en 1989 alors que de passage pour quelques heures dans une ville de millions d’habitants j’habitais à des milliers de kilomètres, reste un merveilleux signe pour moi des méandres optimistes de l’existence. Ce que je sais de la relation touchante et mouvementée de ces deux-là qui lui ont donné le jour, est l’admiration tendre et sincère que sa maman inspirait à notre père. Il a souvent évoqué le courage, la vivacité et l’esprit de Marthe. Nous a vanté son audace frondeuse alors que dansant sur les tables de la Coupole elle provoquait vertement les généraux allemands : «matez bien messieurs, c’est un cul de juive, vous n’aurez pas souvent cette chance ». Ces amis du Groupe de l’Echelle ont maintes fois évoqué le mémorable diner du mariage sous les lampions où aucun(e)s des nombreux convives ne s’est aperçu(e) que le marié, à savoir lui même, était absent. Une panne de gazogène le retenait à Cognac où il était avec Cortot pour on ne sait quelle raison parti chercher du tourteau mêlassé. A défaut de feutre il aurait fallu faire tricoter une chaussette par une vielle dame afin de colmater le filtre défectueux. Au résultat le prétendant est arrivé à son mariage avec trois jours de retard. |
Michet Patrix 1947 huile sur toile 100x100cm La couturière |
En fait, vérification faite sur son état civil, ce mariage était légalement impossible puisque Michel Patrix était encore tenu par une précédente union dont il ne divorcera qu’en 48. Ce dîner avait très probablement été organisé en accord avec la maman Elek afin de sauver les apparences en attendant la régularisation. Le souvenir de l’acte manqué faisait bien rire les amis, lui moins. La farce laisse tout de même un goût amer. S’il est étrangement cocasse pour moi de penser que sans cette panne je ne serais peut être pas là aujourd’hui, impossible d’ignorer la cruelle déception de la très jeune fille. Thomas, surgissant miraculeusement dans notre vie malgré les secrets de nos parents, m’inspire une sympathie d’autant plus forte que fraternelle. « j’ai voulu te protéger » lui a avoué sa maman tout à la fin.
Difficile aussi d’ignorer l’existence bousculée d’une autre sœur portant notre patronyme qui, elle, après avoir tenté de percer l’énigme de son ascendance a préféré s’en préserver. Après qu’à l’instigation de Marthe les deux amants se soient délaissés, en miroir de la disponibilité de Louis à donner son patronyme à Thomas, Michel donnera le sien à D. dont la maman C. souhaitait éviter la disgrâce vis à vis des siens d’une grossesse anonyme contractée lors des chaudes soirées de Saint Germain des Près. A la différence de Louis cependant, le marié, cette fois ci est parti après le dîner en voyage de noce avec la demoiselle d’honneur. Assez rapidement à son retour le mariage si mal contracté tourne court. Michel trop souvent seul avec le bébé dans son atelier, se plaint du peu d’instinct maternel de la maman, le couple se sépare et l’éducation de l’enfant sera confiée à ses oncle et tante. Le doute subsiste à ce jour quand à sa paternité génétique.
A sa décharge il faut remarquer qu’il traite son propre destin avec la même désinvolture. Son dédain cynique du marché par exemple causera le tord que l’on sait à la reconnaissance de son travail. Le peintre et ami des deux autres, Dany Lartigue, m'a confié que Dmitrienko et papa ont reçu en 48 à Saint-Tropez où ils dormaient sur la plage ensemble avec Liliane la compagne de Dmitrienko et dans sa poussette le bébé de Liliane devenu depuis l'actrice Ludmila Mikaël, un journaliste du magazine "Times" spécialement envoyé de New York par Rosenberg en préparation de la seconde exposition Patrix dans sa galerie. Jugeant le culte américain du vedettariat dérisoire les deux larrons dépensent les 50 000 francs payés pour l'interview, somme faramineuse à l'époque, à financer une orgie mémorable en l’honneur du pauvre homme qu'ils ont remis trois jours plus tard dans l’avion tout en lui allumant le cigare avec son article. Voilà sans doute qui explique que l'entreprenant galeriste aie lâché l'affaire après la seconde exposition.
Si les légendaires excès de jeunesse de Dmitrienko se sont apaisés avec la paternité, Michel Patrix tendant tout sacrifier à sa vocation artistique a dit à la fin de sa vie s’être perpétuellement sentit écartelé entre l’amour des siens et son besoin de liberté. Comme si lien familial contrariait la création. La réalité de notre vie de famille pourtant semblait démontrer le contraire : le père et le mari étaient bien plus présent dans les phases sereines d’intense et fébrile créativité qu’en période de doute ravagée par l’anxiété et les crises d’asthme.
Concernant l’amitié entre Emanuel David et Michel Patrix, l’estime qu’ils se vouent mutuellement reste profondément marquée par le cynisme.
« Chacun voit midi à sa porte » dit on. Nous avons ainsi reçu du second une version différente de celle que vous narrez à propos de la rencontre de Rosenberg avec le travail de Michel Patrix. Cette version que j’ai entendu maintes fois de sa bouche prétend que Rosenberg, alors Président du jury du prix pour la jeune peinture organisé au salon de Mai par la Galerie Drouant et David en octobre 47, exprime à David son souhait de défendre Patrix. David répond derechef avoir ce peintre en exclusivité, avant de se précipiter le jour même proposer un contrat d’exclusivité en échange de 20 000 franc par mois à l’heureux élu. Patrix. Se victimisant de la sorte, justifiait-il ainsi le fait qu’il n’aie jamais su défendre ses intérêts ?. Le fait est qu’en affaire comme en amitiés il n’a apparemment jamais su dire non.
En 1951, un cher ami lui demande de cacher quelques jours une jeune femme afin qu’elle puisse avorter clandestinement comme cela se faisait à l’époque. L’opération s’est bien passée. Ceux qui deviendront mes parents ne se quitteront plus. « j’ai jusqu’à présent quitté toutes les femmes qui n’ont pas aimé » la prévient-il avant de l’emmener séance tenante en convalescence à Ouessant. Il faut croire que le test s’avère positif. La leçon infligée par Marthe en coupant les ponts a sans doute aussi porté : cette fois là, l’homme tente de s’assagir. Ils se marieront dès le divorce obtenu. L’œuvre reprise ci dessous qui présente le tout nouveau couple est dénommée « Patience » elle sera montrée à Mers.)
L’intérêt des artistes pour les réalités populaires se confirme à l’époque, Baratier réalise « Chevalier de Mesnil Montant » qui montre les petits métiers de Ménilmontant. Patrix parle dans une de ces lettres à Busse des gitans montreur de chèvres et des joueurs de tambourins dont les incidences rythmiques inspirent la structure de ses compositions et sa philosophie de l’existence. Ainsi encore la lecture de « L’homme foudroyé » de Cendrars inspirera mon nom.
« La buse et le bouquet est peinte en 53 selon votre information. Etes vous certains de la date de son exposition? La facture du début des années 50 très admirative de Grüber et de Cranach était pourtant bien plus en glacis que les empâtements à la truelle de cette œuvre.
En prévision de ma naissance le couple emménage début 1953 rue Dulong. En Juillet alors que j’ai un mois nous partons rejoindre Dany, Jeanete Pico et leurs enfants sur l’île de Bréhat où les deux jeunes familles partagent la location d’une maison. Le séjour prévu pour un mois se prolongera jusqu’à Juin 54 pour cause de peinture. Les Baratier, les Massol, les Busse viendront tour à tour se joindre à l’effervescence créative de la rencontre entre artistes et marin pécheurs.
A l’époque ou furent peintes les natures mortes aux poissons dont « morts et captifs » donc vers 55/56, je revois David et Papa discutant devant la fenêtre ouverte de l'atelier, salon du trois pièces situé au troisième étage de l’immeuble où nous vivions au 63 bis rue Dulong dans le 17ème. Maman rapporte les paroles du dialogue de la sorte : "… comment je fais pour nourrir ma famille à présent ?" ; Laurent mon cadet marchait, j’avais trois ou quatre ans, maman était peut être déjà enceinte d’Edouard ; et David, arrêtant le contrat qui le liait à Patrix depuis 10 ans, de répondre après en avoir vérifié la hauteur : "si tu sautes par cette fenêtre, çà m'arrangerait bien, j'ai 180 toiles à toi en réserve". Michel Patrix décide alors de se retirer à la campagne. « s’ils ont besoin de moi, ils viendront me chercher ».
Nous séjournons de juillet à décembre 56 en Provence chez l’architecte Edouard Albert, parrain de notre plus jeune frère Edouard qui nait en Mai 57. Hélène son épouse prends Patrix en contrat jusqu’en 60.
L’exposition de Mers-les-bains présentera des petites pochades peintes à cette occasion sur le motif au Baux de Provence dont la composition synthétique fait un pas vers l’abstraction.
Nous vivons ensuite quelques temps à Aysecq en Charentes avant de nous installer à Reilly dans l’Oise en janvier 58. Aysecq où est réalisée une série de monotypes dédiée au sous bois et au « battages » dont les études sont réalisées sur le motif à l’aquarelle.
Michel Patrix A 442-lumière froide- 15 F-Reilly - collection privée -57 |
Michel Patrix A449 – le bois gelé – 15 F- collection privée -57 |
L’aquarelle restera dès lors un moyen fréquemment utilisé pour le travail sur le motif, dont il s’inspire par la suite pour la production à l’huile. Les batteuses, fantastiques machines agricoles reliées à un moteur Bernard par des courroies de cuir tendu sur de cylindre. La pétarade du moteur, les vibrations des courroies, les fourchées de boisseaux de blé qu’on y lançait sur le haut pour y être happé, égrainé, puis tassé, formaté et lié en botte font évoluer la rythmique rectiligne des « sous bois » vers une écriture plus syncopée qui se poursuit une fois installé à Reilly comme en témoigne “les coing au plateau noir”, “les tulipes” et “parterre-à-midi-devant-les-ceps-de-vignes”. Ce travail exposé Galerie Visconti en 58 se vent bien. |
Michel Patrix "Battage" - Ref à compléter - 81 X 100 - collection privée |
Michel Patrix A500 parterre á midi devant les ceps de vigne |
Nous recevons les visites des amis parisiens en quête de bon air et de promenades champêtres. Les Lartigue viennent très régulièrement. Leur fils Martin de six mois mon ainé devient mon ami d’enfance par excellence. Le photographe Pierre Golendorf, grand ami de Dany Lartigue, habitera chez nous quelques temps avant de rejoindre la révolution cubaine et de se trouver emprisonné par Castro. Lorsque le groupe de l’Echelle débarque ensemble avec Massol, peintre et galeriste, le plaisir d’amuser reprend toute son ampleur. S’enroulant un rideau sur les épaules en guise de cape “Pat” improvise de longue tirades désopilantes en alexandrin à la façon de “la tempête” de Shakespeare. Malgré la joie des festivités amicales il se remet difficilement après leur départ de ces soirées arrosées. Une première attaque de bronchopneumonie le tien au lit pendant trois mois. Un emphysème est diagnostiqué. D’avril à juin 59 un séjour durant lesquels les enfants sont inscrits à l’école de Yport donne naissance à une série de paysage de bord de mer. La composition se délie et s’aère progressivement dans une série qui commence par prendre pour sujet les caïques sur la plage de galet toujours plus de falaises et toujours plus de ciel. Ce travail est présenté avec un succès relatif chez Hamon au Havre en 62. |
Par contre la série « Massacres » au sujet de la guerre d’Algérie citée plus haut, fait un bide en chez Raffray qui arrête sa collaboration. Le manque d’argent commence à se faire sentir. Au jardin potager initié depuis notre arrivée vient s’ajouter la cueillette des champignons, le glanage des pommes non récoltées ou tombant des camions, le chapardage des épis de maïs. Les villageois acceptent difficilement les parisiens que nous sommes pour eux, artistes de surcroît. Les camarades d’école dont certains sont ouvertement néonazis nous mènent la vie dure. |
Michel Patrix A487 Le roc de Beaumanière | Michel Patrix A446 le bois |
“Le peintre se dépeint quand il peint et sa main délivre son âme” écrit Lagrange sur le mur du salon. Philippe Carson fils d’un premier lit de Hélène Albert reste aussi quelque temps pour composer et nous fait écouter la musique de Boulez. Fouillant dans les carrières voisines Michel Patrix complète sa collection de fossiles. Dans les labours frais se trouvent des haches polies ou encore des tessons de poterie Gallo-romaine. Lecture de Pierre Teilhard de Chardin. Formé par notre voisin parisien, Christian M., ingénieur chimiste chez Pechiney, avec lequel il partage sa passion pour l’archéologie Patrix se lance dans le design d’objet avec des inclusions en polyester. Dés et fils à coudre, plumes, insectes, parfois même passereaux trouvés mort dans le jardin, composent de petites natures mortes se détachant dans des volumes les plus variés d’un fond de feutre coloré. Je me souviens notamment de pieds de lampes réalisés dans des bouteilles déformées par le feu que nous allions chercher dans les décharges. Je me souviens aussi de l’assemblage laissé au gel dans la neige afin que le verre casse en se rétractant sans fracturer son précieux contenu. Le polyester à ses débuts est loin de la simplicité d’usage qu’emploient à présent les enfants dans les ateliers créatifs. Il jaunit et il faut le polir au démoulage pour retrouver sa transparence. La belle idée demande un long façonnage pour un résultat peu rentable. |
Le moral et la santé déclinent. Annie commercialise des jupes en tricot de sa création et met en route un réseau de fabrication faisant travailler plusieurs tricoteuses dans les environs. Malgré un succès d’estime et quelques articles dans des revues à la mode les revenus demeurent insuffisants. Jacques Baratier vient régulièrement avec sa famille. Il nous amène l’acteur Daniel Emilfork. Puis s’installe un moment pour peaufiner le scénario de son prochain film “l’Or du Duc”. Marco Pico petit frère de Jeannette Lartigue vient faire un reportage sur le berger de Reilly qui vit dans sa roulotte. |
Michel Patrix B777.silo à chaunmont en vexin |
En 65, rencontre et amitié du couple avec Dado et Hessie Djuric qui viennent de s’installer à quelques kilomètres dans un moulin en ruine. Higelin et Brigitte Fontaine rencontré par Odette une amie des temps de résistance mariée avec Charpentier Goupil opérateur de Cousteau, viennent parfois faire le bœuf au piano du salon. Papa sort sa clarinette et tout se joli monde swingue. Le sens de la provocation de Brigitte est très extraverti. Elle raconte comment elle a fait mine d’avoir une jambe raide pour tenir la dragée haute à une dame qui lui avait reproché de s’asseoir sur une place de métro réservée aux invalides. Elle nous bluffe avec ses mini-jupes ras-le-bonbon et ses bas roses. Jacques et elle vivent leurs amours partagées avec Areski. Relecture de Lautréamont. « à la recherche du temps perdu » de Proust meuble les nuits d’insomnie. |
66, première révolte adolescente, je décide d’entrer en pension à Beauvais pour devenir technicien céramiste (n’importe quoi plutôt qu’artiste). Papa me donne à lire « tristes tropiques » de Levi Strauss. En 68 lecture de Yvan Illitch et de Raoul Vanheigem. En 66 et 68, séjours estivaux en Bretagne chez les Charpentiers Goupil. Romain de deux ans mon aîné, est fort engagé dans les mouvements étudiants. Michel et Annie Patrix initient une aventure échangiste avec un couple d’enseignants plus jeune en quête d’épanouissement sexuel et amoureux. « Les Mouettes » visible sur la page que vous avez édité sont peintes après l’installation de la famille à Gonneville en 69 (ainsi que pour rappel vraisemblablement la « nature morte au crabe »). Lors d’une visite à mon retour d’Afrique en 71, je trouve dans cette grande maison de maitre perdu dans les champs plusieurs de mes camarades de lycée ayant abandonné à ma suite leurs études techniques pour venir former une communauté autour de mes parents. Le groupe s’adonnant aux métiers artisanaux, tels que teinture sur soie, tissage, sérigraphie, s’est constitué en association sous le titre « Centre de Créativité Michel Patrix ». Avec l’ambition d’un engagement social de l’art ce centre de créativité s’investit notamment dans l’animation d’atelier créatif pour un centre médico-pédagogique accompagnant des enfants considérés inapte à la vie sociale. |
La vente du fond d’atelier permettra d’outiller cette communauté fondée sur l’amitié et la mise en commun des compétences. Peinte en 1973 la Patience de Pénélope dévidant son écheveau dans sa dernière toile fait écho au titre de la toile peinte en 51. Le tableau dédié à ses nouvelles amours s’appelle “les oiseaux morts”. NB: Cette toile qui de mémoire est d’un format de 130 X 150 est roulée chez notre maman et aurait aussi besoin d’être montée sur châssis. « Il n’y a de jugement que dernier » écrivait-il durant les années 60 dans son carnet de bord. Cette pensée fera le titre du premier livre de sa veuve. Vous me dîtes que Michel Patrix est apprécié des vrais amateurs d’art. J’espère avoir montré avec ce texte que son parcours témoigne de la multiplicité des enjeux de la libéralité. « In pratical terms, those who believe in the liberal story live by the light of two comandements : create and fight for liberty » écrit Yuval Noal Harari dans « 21 lessons for the 21th century ». Peut être donc est-ce sa fiévreuse inquiétude qui les touche. La fiévreuse inquiétude de l’humain qui joue avec le feu afin de le domestiquer. Mon père me confiait quelques mois avant son décès, qu’il souhaitait de longue date peindre « le bal des ardents ». |
« Jamais je ne l’ai entendu dire du mal de personne derrière son dos» me dit maman. « Il savait toutefois fort bien se moquer ouvertement de qui il voulait » me dit Jeanne Busse qui me confie très gentiment des lettres de sa correspondance avec Jacques Busse notamment depuis Saint Amand et plus tard depuis Bréhat ainsi que quelques desseins non signés peut-être attribuables à Cortot. Le 27 Mars 2020 à Mers-les-Bains cette documentation, jointe à son carnet de bord, témoignera de l’évolution de Michel Patrix depuis l’amicale épopée du Groupe de l’Echelle qui l’avait pris comme mentor. Des dessins, gouaches, aquarelles, monotypes et peintures depuis les débuts jusqu'à sa dernière toile montreront l’énergie poétique de son parcours et permettront, je l’espère, d’en capter la vivacité. « Ton père était un bon peintre » m’a dit Dado « je ne comprends pas pourquoi il n’est pas reconnu». |
Blaise Patrix, 22 décembre 2019, Bruxelles |