SANS TICS NI TOCS par Jean-Paul Gavard-Perret
Miss Van, « Twingles », galerie Magda Danysz, Paris 11ème, 19 mars, 30 avril.
Née en 1973 à Toulouse Miss Van (Vanessa Alice Bensimon) se fit d’abord connaître comme taggeuse des murs de la ville rose. Issue du mouvement du graffiti, elle a donc choisi la rue comme lieu d'exposition permanent. De façon exceptionnelle, elle expose en galerie ses poupées qui furent d’abord des autoportraits sublimés : « Le graffiti a un côté très mégalomane, à la place d'écrire mon nom, je me représentais sous les traits de mes poupées. J'avais un vrai besoin de marquer mon identité, peut-être parce que j'ai une sœur jumelle et qu'il fallait que je me démarque." précisait-elle.
L’artiste a inventé un concept novateur qui fait dériver le graffiti traditionnel majoritairement masculin. Ses miss tranchent dans l’univers de l’art contemporain. Ses influences vont de la libre figuration aux pin-up des années 1950 en passant par les bandes dessinées de Vaughn Bodé et l'imagerie religieuse. Peu à peu son travail s’est sophistiqué. Les lignes se sont affinées et sa figuration a gagné en détails. Si bien que les miss d’abord stylisées et à peine croquées sont devenues plus sombres et plus expressives.
Miss Van revient en France après une série d’expositions à Los Angeles, Barcelone, Shanghai et New York. Elle reste fidèle en dépit des présentations en galeries à son street-art à la qualité picturale étonnante où la mélancolie est de plus en plus évidente sous la glamour et la sensualité féline et les couleurs chaudes. D'une beauté époustouflante (à l'image de leur créatrice) ses femmes semblent toutes posséder un coeur frileux tapis dans des corps capiteux semblables à des samovars ailés aux senteurs de Ceylan.
Perdues dans leurs formes rêveuses et presque mises à nu elles portent tout autant témoignage d'une cérébralité que d'une sensualité minimale et précieuse toujours proche d'une forme d'abstraction de la quintessence. Toutefois ses nouvelles séries témoignent de la nostalgie de n'avoir pas trouvé l'endroit et l'atmosphère où elles auraient aimé vivre. Miss Van franchit ainsi un nouveau pas au moment où elle choisit une stratégie ou une sorte de protocole qu'on pourrait qualifier de lexicographique afin de faire descendre la cérébralité du côté du corps de ses égéries à travers un puzzle de séries de sensations-réflexions. Elles réenchantent le quotidien en tant que fées de la belle germination. Cette approche n'est pas sans rappeler un procédé cher à Roussel pour qui l'écart entre les images et leur signification se trouve comblé par l'illusion qui remplace le réel.
Face au quotidien le plus étouffant, surgissent des images de miss merveilleuses. Elles repoussent toujours plus loin le point de départ "réaliste" et finissent par l'occulter entièrement. Tout se passe comme si la femme reconstruite dans une graphie d'aube jouait d'abord dans le langage afin d'en dégager une sorte d'ironie très particulière. L'artiste y rassemble l'empire et le ghetto de l'amour, révèle la détresse et la tendresse, recueille la neutralisation inhérente au fil des jours tout en ressuscitant ses "restes" de manière à le déplacer comme l'auteur le déplaçait dans sa jeunesse, n'en pouvant plus, en claquant la porte des galeries…
Dans "Twingles" la langue plastique est donc soumise à un double procès : celui des choix à faire au sein de la "relation" au réel et celui des suites à établir entre ses éléments qui constituent la vie de tous les jours. Celle qui se sent "ustentilisée" crache l'indélébile, l'impossible, l'éperdu de sa situation. Et plus que de rechercher une forme d'équilibre à ses disjonctions, elle les accuse en une sorte de démarche que Deleuze aurait nommée "chaloupée". Elle concerne à la fois le cours de la vie, la vision de la femme et le procès de la langue.
L'artiste sait ainsi toujours créer la sélection d'éléments significatifs : visions fugitives, scènes d'enluminures, réflexions sur la vie "moderne", approche du trivial et du sublime, du factuel et de l'immémorial. Chaque inclusion annonce une occlusion sur la variable de moins en moins variée du temps. C'est pourquoi un tel art reste, en accord avec ce qu'il fut à l'origine : un travail de révolte certes douce mais qu'il ne faut pas pour autant minimiser. Ce n'est plus une syntaxe formelle ou superficielle qui règle les équilibres de la langue plastique. Reste un mystère. Il échappe à la cérébralité même s'il est le fruit d'une construction habile afin de faire surgir entre l'émerveillement et la blessure quelque chose de l'entre-deux. La poésie de Miss Van fait donc encore et toujours glisser pour un embarquement immédiat vers l'inconnu à l'épreuve du temps.
Jean-Paul Gavard-Perret
In Paris (in the Marais)
78, rue Amelot
Paris 11 - France
t.: +33 (0)1 45 83 38 51
Ouvert du mardi au vendredi de 11h a 19h et le samedi de 14h a 19h
Opens from tuesday to friday from 11AM to 7PM and saturday from 2 to 7PM
In Shanghai
188 Linqing Road (near Pingliang Road)
Shanghai, China