CORPS ACCORDS
Catherine Millet, "D'Art-Press à Catherine Millet", Gallimard,
"Le Corps exposé", Editions Nouvelles Cécile Defaut.L ‘approche du « Corps Exposé se poursuit et se complète par « D’Art-Press à Catherine M » à travers un récit de vie sous forme d’entretien. Catherine Millet explore un monde subjectif où la connaissance se construit sur l'expérience personnelle acquise par son histoire intime et ses connaissances esthétiques. Il n'est pas question ici d'élaborer de grandes théories philosophiques, psychanalytiques ou esthétiques. Mais le livre permet lui aussi d’envisager corps, le masculin et féminin inter-reliés et co-dépendants. Le corps, le symbolisme et l'action littéraire participent chez Catherine Millet de la même sacralisation de la vie. Et toute son œuvre tente de percer ce mystère dans un processus d’analyse de l'objet d'art et d’exposition littéraire corps qui place son travail très haut et bien au delà du scandale qu’il a pu générer.
La critique d'art et la littérature d'autofiction (du moins telles que les pratique Catherine Millet) n'est puissante que si elles ne cherchent pas forcément à épouser l'air du temps. Leur expression du réel ne délivre pas d'image sauf mais un engagement. Un engagement qui réside dans leur pouvoir à diffuser une impondérable vibration des œuvres d'art et du corps. Le travail de l'auteur n'est donc pas métaphore du réel, ou substitut mais déflagration, déferlement, altérité. Il se passe non de circonstances mais des pompes. Entre autres à propos de son œuvre intime et croisée avec celle de Jacques Henric Catherine Millet parle et écrit juste. : "je ne sais pas s'il y a beaucoup d'hommes qui auraient eu le courage de cette confrontation et assez de fermeté pour s'en sortir indemnes".Catherine possède cette compétence comme elle a celle qui en art l'a fait observatrice inégalable.
Cela ne veut pas dire qu'on accepte sine die ses prises de position. Mais elles tiennent et on peut s'y confronter. "La confrontation fait très peur à certains hommes". On voudrait ne pas en faire partie. D'autant que Catherine Millet éclaire sur ce qu'il en est de l'art comme de la sexualité et de l'amour. Dans son livre d'entretiens l'explique clairement. Une vérité s'en échappe. Vérité impressionniste mais comme toute vérité. On aurait tord de s’en passer afin de ne pas dériver vers des postulations flottantes. Ce qui jusque là était tu ou reçu en une surdité crispée permet de se décoincer. En effet l'auteur nous sort de l'enfermement : elle ouvre et montre comment chaque nouvelle rencontre artistique peut - à l'inverse des sexuelles - devenir une nouvelle histoire d'amour. Peu importe si les histoires d'amour finissent mal en général : ce qui compte c'est de trouver une nouvelle passerelle, un nouveau passage, un nouveau coup de foudre.
L’auteur dans ses deux livres rassemble divers imaginaires du corps et de son sacré, et de sa bestialité parfois réunis. Comme dans les cérémonie d’un Michel Journiac où le corps n’est plus objet du "peindre", les livres présentent l’art et la vie comme des mystères-actions profane. Parfois les mises en scènes artistiques et la littérature inventent un univers des symboles qui permet d'illustrer des vérités abstraites ou encore lointaines (Gilbert et Georges). L’art postmoderne comme la littérature de Catherine Millet reprend ainsi ce que Fra Angelico avait entamé avec ses dissemblances et figurations. A savoir le pouvoir mystérieux de transformer le corps physique, vulgaire, en corps qui porte et supporte le mystère aussi physique que (parfois) spirituel – chez un Warhol par exemple.
Jean-Paul Gavard-Perret
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