«Antoni Tapies (1923-2012), et la Galerie Lelong : une longue collaboration ».
Galerie Lelong
13 rue de Téhéran, 75008 Paris
Tel +33 1 45 63 13 19
http://www.galerie-lelong.com
C’est grâce à Jacques Dupin, qui avait écrit sur son art dès 1963, qu’Antoni Tàpies expose, à l’automne 1967 - puis sans discontinuer - dans les salles de la galerie au 13 rue de Téhéran.Avec Tàpies et sa femme Teresa, ce fut une longue histoire de 45 années de collaboration et de fidélité réciproque, jalonnée d’une quarantaine d’expositions personnelles dans les Galeries Lelong de Paris, Zürich et New York.
Photo de Antoni Tàpies Copyright Galerie Lelong © Photo : Fabrice Gibert |
Tout au long de ces années, la galerie publie de nombreux catalogues d’exposition, livres de bibliophilie, écrits de l’artiste : La Réalité comme art, L’Art et ses lieux. Tàpies était aussi un graveur et lithographe fécond, dont la galerie a régulièrement publié les œuvres.
Sa fondation, ouverte à Barcelone en 1990, constamment tournée vers les jeunes artistes, témoigne de son engagement constant en faveur de la création la plus exigeante. |
Photo de Antoni Tàpies Copyright Galerie Lelong © Photo : Fabrice Gibert Courtesy Galerie Lelong |
Jean-Paul Gavard-Perret
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Antoni Tàpiès a toujours cherché à incarner la “ corporéité ” par laquelle la matière travaille la réversion figurale - ainsi que la logique habituelle de l’imaginaire - en transformant le support et la matière en de véritables lieux “ morphogénétiques ”. Ils ouvrent à une nouvelle condensation de l’image qu’ils induisent par leur nature et dans laquelle les symboles eux mêmes échappent à une vision classique de la représentation. L’iconographie de peintre ibérique parle au sein même de la matière et ne renvoie plus aucunement à une quelconque gloire céleste de l’image. L’effet classique de pans lui-même répond à de nouvelles exigences. Surgit un espace hérétique dans laquelle la matière-support devient l’objet de liturgie païenne qui exalte la vie au sein d’une violence qui danse entre la mort et la vie. Loin de tout maniérisme Tàpies arrache le regard dévot qu’on accorde à l'art afin de le remplacer par un regard plus nocturne et enflammé. |
Antoni Tàpies Principiel, 1989 Technique mixte sur toile 250 x 300 cm |
De telles oeuvres font réfléchir sur la notion même de Temps. L’art n’est plus là pour nous faire passer du fantasme à son reflet imité. Il est l’autre que nous ne pouvons oublier : l’autre semblable et frère qui prend figure de totem ou de tentures épaisses où jouent dans un humour terrible les compulsions de vie et de mort. L'art devient avant tout un acte de puissance plus que de jouissance où le temps est arrêté au sein même d’éléments qui en disent sinon sa fragilité du moins son passage. Plus question de trouver le moindre confort. Ce qui jaillit des œuvres semble provenir directement de la matière et non du discours événementiel qu’elles “ illustreraient ”. Rien d’évènementiel en effet chez l’artiste : émerge une horreur mélancolique mais aussi une drôlerie en ce qu’une peinture-sculpture possède soudain d'avènementiel en une forme d’entente tacite avec la vie. Nous y sommes non invités mais jetés comme s’il fallait préférer la douleur du crépuscule à la splendeur du jour.
On n'est plus dans un corpus seulement jubilatoire mais expropriateur là où l'homme qui croit s'emparer de tous les trésors ne récolte au bout du compte que des ruines. La grandeur humaine se perd et l’art sort - pour son bien - de l'humanisme. Seul demeure comme témoin de l’humanité les cadavres exhumés en totems. Dans le désenchantement Tàpies ne s'enivre que des forces de son délire afin de créer son théâtre du vide, sa liturgie des humiliés. Il crée des sortes de chemins de croix marqués du sceau ou du devoir de monstruosité “ panique ” (au sens où l’entend Arrabal). Le langage de l’artiste s'ouvre à sa propre fente pour dire la manque, l'absence d'être. Ce travail reste donc un travail de violence afin de faire sauter tous les carcans et les jougs des modèles, tous les pères et mères dont le propos n'est pas d'engendrer mais de tuer dans l'oeuf au nom d'une terrible Loi tribale qui corsète notre société. |
Antoni Tàpies Terra amb quatre ulls, 2008 |
La crudité et la cruauté de Tàpies s'apparentent par delà la provocation à une sorte de cannibalisme iconographique. Il nous fait franchir la frontière entre la terre matricielles et la mer(e) marâtre. Il permet de changer de corps, de lieu, de temps. C’est ce qui touche à notre plaisir, à notre jouissance et, en conséquence, à nos possibilités d’angoisse puisque nos certitudes se voient interpellées par cette traversée. L’artiste fait franchir de la sorte un pas important. Ce qu’il montre n’est pas un lieu ou plutôt un lieu décalé qui a valeur en notre imaginaire soudain dérouté d’abcès de fixation.
L’oeuvre devient le rebord de l’être, le rebord extérieur. Elle possède la puissance de percer notre inconscient. C’est pourquoi, le “ mal ” dont elle semble façonnée n’est plus une substance ferme mais un reste d’érosion, un dépôt. L’unité de l’être chancelle sous les pièces du puzzle dans lequel l’artiste nous plonge, nous abîme. Tout vacille dangereusement, bascule. D’où la force de ce franchissement, de ce passage et la terreur qu’elle suscite. Elle devient la source terrible de vie qui explose et se défonce en son feu souterrain. La création n’est donc pas celle de la mort que l’on se donne ou qui nous est donnée mais – par delà ses images de mort – celle de la vie qui hante et à laquelle Tàpies donne paradoxalement la plénitude de ses formes primitives. Ce qui fascine c’est l’horizon, le creux, l’ultime tissu du monde, l’extase troublante qui découragent les morts. En ce sens son travail répond à l’injonction de Bataille : “ une oeuvre est oeuvre seulement quand elle devient l’intimité ouverte de celui qui la crée et de celui qui la regarde ”. |
Antoni Tàpies Gran signe d'interrogaciÒ, 2010 |
Souvenons nous alors de ce que le poète Andreas Sanchez Robayna ami du peintre écrivait à son sujet en parlant de ses abîme qui se percutent et se répercutent de disparitions en épiphanies. : "tu les connais. Ils semblent dialoguer et ils observent". Cela permet de comprendre l'essence même d’une œuvre unique. On ne voit que rarement ce qui constitue originellement la dimension formelle de son travail. Il n'existe pas là où le regard domestiqué l'attend pour en verser l'acquis au compte de la perception. Son mode d'apparition implique, au contraire, une inversion de l'expérience commune et d'abord un véritable retournement du "entre" absorbant les limites qui paraissent le contenir. Tapies récuse toute perception administrative ou gouvernementale du monde afin d'avoir accès à son ouverture. Son art implique le renversement d'un rapport au monde qui constitue lui-même un retournement et un détournement de la réalité. Arrivant de nulle part et toujours en partance, ces œuvres complexes et imposantes font jouer le vide avec le plein. Ils existent l'un à l'autre à travers le phénomène de la lumière à l'état naissant pas le noir qui la soulève . La réalité ne tient qu'à ce prix nous rappelle Tapiès : "on n'y entrera pas sans être disparu" disait-il. On peut toutefois tenter l’aventure de la retrouver à travers l’œuvre avant de partir… |
Photo de Antoni Tàpies Copyright Galerie Lelong © Photo : Fabrice Gibert Courtesy Galerie Lelong |
Biographie de Antoni Tàpies |
Antoni Tàpies est né à Barcelone en 1923. Adolescent de santé fragile, il commence à dessiner et peindre très tôt. Il fit des études de droit et de commerce à l'Université de Droit (1944-1946) de Barcelone et suit des cours de dessin à l'Académie Valls. De ces années il restera marqué par la guerre civile et ses atrocités. En 1946 il réalise ses premières œuvres abstraites: collage à partir de journaux, de ficelles, de papier et d'aluminium. 1948: Il fonde la revue Dau Al Set avec Ponç, Tharrats et Cuixart, il rencontre Joan Miro dont l'influence le fait entrer dans une période surréaliste. La même année il participe au Salon d'Automne de Barcelone. En 1950, sa première exposition personnelle à lieu à la Galeries Laietanes de Barcelone, tandis qu'il obtient une bourse de séjour pour la France. L'année suivante, à Paris, il rencontre Braque, Picasso, découvre l'art informel avec Dubuffet et Fautrier, ainsi que les écrits de Michel Tapié. En 1952, il participe à la Biennale de Vanise et l'année suivante ses oeuvres sont présentées à la Gallery Martha Jackson de New York. A partir de 1954, il revient à ses recherches de matière, mêlant huile, marbre pulvérisé, pigments en poudre ou latex, altérés par des signes informels, grattés dans la couche picturale. Sa peinture comme sa sculpture, acquièrent une renommées internationale et ses œuvres sont exposées dans tous les grands musées dès 1955 année où il expose à Paris, à la galerie Stadler. En 1973 une rétrospective est organisée au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris et en 1988 une rétrospective itinérante aux États-Unis. En 1981 il réalisa ses premières céramiques avec le céramiste allemand Hans Spinner. En 1984 est créée à Barcelone, la Fondation Antoni Tàpies. En 1992 il participe à l'Exposition universelle de Séville, au Pavillon Catalan. |
Prix et distinctions : |
- 1951. Prix de l'Academia Breve, Barcelone. |
Principales œuvres : |
- 1946. Collage au papier d'argent. |
Photo de Antoni Tàpies Copyright Galerie Lelong © Photo : Fabrice Gibert Courtesy Galerie Lelong |
Principales collections publiques : |
Espagne: États-Unis: Autres: |
Principales publications : |
- 1978. L'art contre l'esthétique, Paris. |
Biographie et bibliographie : |
- Tàpies, Galerie Maeght, 1970. |