Guggenheim Bilbao Expressionnisme Abstrait

Le Musée Privé Magazine d'Art Moderne et Contemporain

Expressionnisme Abstrait L'EXPOSITION
3 février 2017 – 4 juin 2017

GUGGENHEIM BILBAO

À une époque trouble entre la Seconde Guerre Mondiale et les années free jazz bercées par la poésie de la génération beat, des artistes comme Pollock, Rothko et De Kooning mirent à mal les conventions en vigueur afin d’inaugurer une nouvelle étape de confiance vis à vis de la peinture. L’Expressionnisme Abstrait est le fruit de l’expérience commune d’une série d’artistes qui vivaient à New York en 1940 et, qui alors même qu’ils étaient amis et compagnons, avaient tous un style à part entière. Contrairement à ce qui s’était produit pour les précédents mouvements des Cubisme et Surréalisme, l’Expressionnisme Abstrait ne semblait pas adopter une formule figée. Cette diversité mit à l’honneur la liberté d’expression individuelle et artistique de chacun d’entre eux.

L’Expressionnisme Abstrait marqua un moment clé dans l’évolution de l’art du XXe siècle. Étonnamment, aucune grande exposition n’a été consacrée en Europe à ce mouvement depuis 1959. Avec plus de 130 peintures, sculptures et photographies issues de collections publiques et privées du monde entier, cette exposition ambitieuse comprend les chefs d’œuvre des artistes nord-américains les plus talentueux rattachés à  ce mouvement, comme Willem de Kooning, Arshile Gorky, Philip Guston, Franz Kline, Joan Mitchell, Robert Motherwell, Barnett Newman, Jackson Pollock, Mark Rothko, Aaron Siskind, David Smith et Clyfford Still, ainsi que d’autres figures moins connues mais tout aussi révélatrices.

Cette sélection prétend réévaluer l’Expressionnisme Abstrait, et souligner que même s’il a été perçu comme un mouvement unifié, ce fut un phénomène extrêmement complexe, pluriel et polyédrique. C’est aussi l’occasion de mettre à mal l’idée selon laquelle l’Expressionnisme Abstrait avait uniquement rayonné dans la ville de New-York, ayant aussi inclus des artistes de la Côte Ouest comme Sam Francis, Mark Tobey et Minor White.

 

Jackson Pollock Masculin et féminin (Male and Female), 1942–43 Huile sur toile 186,1 x 124,3 cm Philadelphia Museum of Art. Donation de M. et Mme H. Gates Lloyd, 1974 Photo : Philadelphia Museum of Art © The Pollock-Krasner Foundation VEGAP, Bilbao, 2016 

Jackson Pollock
Masculin et féminin (Male and Female), 1942–43
Huile sur toile
186,1 x 124,3 cm
Philadelphia Museum of Art. Donation de M. et Mme H. Gates Lloyd, 1974
Photo : Philadelphia Museum of Art
© The Pollock-Krasner Foundation VEGAP, Bilbao, 2016

L’Expressionnisme Abstrait fut le premier grand mouvement artistique nord-américain
Arshile Gorky L’Eau du moulin fleuri (Water of the Flowery Mill), 1944 Huile sur toile 107,3 x 123,8 cm Prêt de The Metropolitan Museum of Art, New York, George A. Hearn Fund, 1956 (56.205.1) © Estate of Arshile Gorky/VEGAP, Bilbao, 2016 Photo : © 2016. Image © The Metropolitan Museum of Art/Art Resource/Scala, Florence

Arshile Gorky
L’Eau du moulin fleuri (Water of the Flowery Mill), 1944
Huile sur toile
107,3 x 123,8 cm
Prêt de The Metropolitan Museum of Art, New York, George A. Hearn Fund, 1956 (56.205.1)
© Estate of Arshile Gorky/VEGAP, Bilbao, 2016
Photo : © 2016. Image © The Metropolitan Museum of Art/Art Resource/Scala, Florence

Avec toutefois des racines venant d’Europe

L’Expressionnisme Abstrait a une dette vis à vis de la tradition européenne moderne. Son penchant pour toutes les formes de créativité spontanée, automatique ou inconsciente renvoie directement au Surréalisme. Les œuvres de Pablo Picasso servaient notamment de référence à l’Expressionnisme Abstrait. États-Unis avait de fait une longue histoire d’émigrants provenant d’Europe et le cas de l’Expressionisme Abstrait ne fut pas une exception: le peintre Hans Hofmann naquit en Allemagne; Willem de Kooning se forma aux Pays-Bas; et le terme même d’« Expressionnisme Abstrait » fut employé pour la première fois en Allemagne en 1919 pour décrire l’Expressionnisme allemand ne s’appliquant à la nouvelle vague d’artistes américains qu’à partir de 1946.

Paris fut pendant des siècles l’épicentre de l’art, où affluaient artistes, marchands et collectionneurs du monde entier, pourtant un nouveau mouvement émerge dans les années 1940 et 1950 et met États-Unis sous les feux de la rampe. Avec ses immenses peintures abstraites peintes à l’Huile et foisonnant d’émotion, l’Expressionnisme Abstrait fit rapidement de NewYork la capitale du monde de l’art. Ce phénomène, qui succédait à la Grande Dépression et à la Guerre du Vietnam, coïncida avec la transformation des États-Unis en superpuissance mondiale dominante. « Dans la confiance et la liberté d’expression de l’Expressionnisme Abstrait, on reconnaît une sensation particulièrement américaine », affirme Edith Devaney, la commissaire de l’exposition.

Willem de Kooning Sans titre (Femme dans un bois) [Untitled (Woman in Forest)], ca. 1963–64 Huile sur papier marouflé sur masonite 73,7 x 86,4 cm Collection particulière © The Willem de Kooning Foundation, New York /VEGAP, Bilbao, 2016
Willem de Kooning
Sans titre (Femme dans un bois) [Untitled (Woman in Forest)], ca. 1963–64
Huile sur papier marouflé sur masonite
73,7 x 86,4 cm
Collection particulière
© The Willem de Kooning Foundation, New York /VEGAP, Bilbao, 2016
 
 Colorfield ou Action Painting ?
Clyfford Still PH-950, 1950 Huile sur toile 233,7 x 177,8 cm Courtoisie Clyfford Still Museum, Denver, Colorado © City and County of Denver, VEGAP, Bilbao, 2016
Clyfford Still
PH-950, 1950
Huile sur toile
233,7 x 177,8 cm
Courtoisie Clyfford Still Museum, Denver, Colorado
© City and County of Denver, VEGAP, Bilbao, 2016
Les historiens d’art tendent en général à diviser l’Expressionisme Abstrait en deux tendances. La première s’intitule « action painting », expression consacrée en 1952 par le critique d’art nord-américain Harold Rosenberg. Cette peinture gestuelle dont les figures de proue sont Jackson Pollock, Willem de Kooning et Franz Kline, aborde la façon de peindre comme un acte de création dynamique. Cette tendance va s’opposer à celle que lui préfère le critique Clément Greenberg, le « colorfield painting » ou peinture des champs de couleur, qui utilise de grandes surfaces d’aplats de couleurs, comme en témoignent les œuvres de Mark Rothko, Clyfford Still et Barnett Newman.
 
Ou ni l’un ni l’autre ?
Joan Mitchell Mandres, 1961–62 Huile sur toile 222 x 200,7 cm   Collection particulière, courtoisie McClain Gallery   © Estate of Joan Mitchell
Joan Mitchell
Mandres, 1961–62
Huile sur toile
222 x 200,7 cm  
Collection particulière, courtoisie McClain Gallery  
© Estate of Joan Mitchell
En réalité et comme cette exposition le laisse entrevoir, l’Expressionnisme Abstrait allait bien au-delà de l’action ou colorfield painting. La rétrospective met en effet l’accent sur la polyvalence de ses nombreux artistes, comme en témoignent les peintures de petite taille réalisées par Pollock à base de peinture ruisselante et les étonnantes toiles triomphales aux tons oranges et jaunes brillants de Rothko. Même si l’exposition s’attarde principalement sur les peintres de New-York (Pollock et Rothko, De Kooning, Kline et Robert Motherwell, entre autres), elle présente également des artistes de la région de San Francisco (comme Clyfford Still et Sam Francis), et de nombreux femmes artistes en première ligne du mouvement: Helen Frankenthaler, Lee Krasner et Joan Mitchell. Cette exposition majeure sur l’Expressionnisme Abstrait américain organisée en Europe après celle de 1959, insiste sur la diversité du mouvement, aspect clé trop souvent négligé.
 
L’échelle, vers une autre dimension
Jackson Pollock Mural, 1943 Huile et caséine sur toile 243,2 x 603,2 cm The University of Iowa Museum of Art. Donation de Peggy Guggenheim, 1959.6 © The Pollock-Krasner Foundation, VEGAP, Bilbao, 2016
Jackson Pollock
Mural, 1943
Huile et caséine sur toile
243,2 x 603,2 cm
The University of Iowa Museum of Art. Donation de Peggy Guggenheim, 1959.6
© The Pollock-Krasner Foundation, VEGAP, Bilbao, 2016
L’échelle est le signe distinctif de l’Expressionnisme Abstrait. Certains artistes du mouvement furent marqués par les peintures murales qu’ils réalisèrent en participant au Federal Art Project, un projet s’inscrivant dans le programme New Deal, et beaucoup d’entre eux se mirent à confectionner des toiles monumentales semblant littéralement happer l’observateur. L’art expressionniste abstrait est une rencontre entre l’artiste et le spectateur: l’artiste exprime ses émotions et communique le sentiment d’être présent dans l’œuvre, alors que la perception de l’observateur est l’ultime composante de celle-ci. Pollock affirma en 1950 que la peinture abstraite « confronte » le spectateur. Comme le traduit la Chapelle Rothko à Houston, la façon dont on expose une œuvre peut intensifier la rencontre.
 
 L’Expressionnisme Abstrait, bien plus que de la peinture
David Smith Cage d’étoiles (StarCage), 1950 Acier peint et brossé 114 x 130,2 x 65,4 cm Frederick R. Weisman Art Museum, Université du Minnesota, Minneapolis. The John Rood Sculpture Collection © The Estate of David Smith, VAGA, New York / VEGAP, Bilbao, 2016
David Smith
Cage d’étoiles (StarCage), 1950
Acier peint et brossé
114 x 130,2 x 65,4 cm
Frederick R. Weisman Art Museum, Université du Minnesota, Minneapolis. The John Rood Sculpture Collection
© The Estate of David Smith, VAGA, New York / VEGAP, Bilbao, 2016
Bien que les œuvres les plus connues actuellement sont les peintures de Pollock et Rothko, l’Expressionnisme Abstrait comprend un éventail bien plus vaste de médiums souvent relégués à l’arrière plan. Or pendant cette période, la sculpture, le collage et la photographie furent mis à l’honneur. Des artistes et notamment David Smith devint célèbre grâce à ses immenses sculptures en plein air et son art public, alors qu’Aaron Siskind tenta de capturer à travers la photographie cette même énergie et gestuelle que Pollock cherchait à transmettre à travers l’Action painting. Hans Namuth est quant à lui surtout célèbre pour ses portraits-photos de Pollock au travail dans son atelier.
 
Des artistes qui célèbrent l’art et se soutiennent mutuellement
Mark Rothko Bande jaune (YellowBand), 1956 Huile sur toile 218,8 x 201,9 cm Sheldon Museum of Art, Université du Nebraska – Lincoln. Sheldon Art Association, Thomas C. Woods Memorial, N-130.1961 © 1998 Kate Rothko Prizel and Christopher Rothko/VEGAP, Bilbao, 2016 Photo : © Sheldon Museum of Art
Mark Rothko
Bande jaune (YellowBand), 1956
Huile sur toile
218,8 x 201,9 cm
Sheldon Museum of Art, Université du Nebraska – Lincoln. Sheldon Art Association, Thomas C. Woods Memorial, N-130.1961
© 1998 Kate Rothko Prizel and Christopher Rothko/VEGAP, Bilbao, 2016
Photo : © Sheldon Museum of Art
Même si Pollock devint célèbre quasiment sur le champ, la reconnaissance pour grand nombre d’artistes du mouvement fut plus longue à se manifester et n’arriva jamais pour certains d’entre eux. Parallèlement à leur travail artistique, Robert Motherwell et Barnett Newman gagnèrent leur vie en tant que critiques et, de concert avec Clement Greenberg et Harold Rosenberg, ils contribuèrent à faire connaître le mouvement et à susciter l’intérêt d’un large public. Les artistes se sont d’ailleurs soutenu entre eux: en 1949, ils fondèrent l’Artist’s Club, un lieu de rencontre où ils se retrouvaient pour manger, boire, débattre d’art art et organiser des expositions.
 
L’audace de deux femmes
Barnett Newman
Galaxie (Galaxy), 1949
Huile sur toile
60,1 x 50,8 cm
Collection de Lynn et Allen Turner
© The Barnett Newman Foundation, New York/ VEGAP, Bilbao, 2016
S’il est vrai que les Expressionnistes Abstraits célèbres sont avant tout des hommes, c’est dû, en partie, au soutien et à la ténacité de deux femmes: Peggy Guggenheim et Betty Parsons. Ces deux galeristes ont abordé le marché de l’art différemment, ce qui s’est traduit à plusieurs niveaux, notamment dans l’agencement des espaces d’exposition et dans les rapports et contrats conclus avec les artistes qu’elles lançaient. La surprenante galerie Art of This Century, conçue entièrement par Frederick Kiesler pour Peggy Guggenheim n’avait rien à voir avec les espaces blancs, modernes et ouverts de la Betty Parsons Gallery. Alors que la première, collectionneuse et mécène éclairée était intimement liée aux artistes, la deuxième signa de minutieux contrats avec eux tout en leur octroyant une grande liberté pour monter leurs propres expositions.
 

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Patrick Reynolds
 

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