Nous ouvrons ici un des débats les plus difficiles du monde de l'art : Qu'est-ce qui fait le prix d'une oeuvre d'art, le fantasme, la réputation, la communication, la financiarisation, le prix élevé pratiqué par le marché dont les ventes aux enchères ou bien la qualité de la création, l'imagination, la sensibilité que nous transmet une oeuvre - Afin de vous permettre de réfléchir, je vous rappelle un principe essentiel qui doit animer votre réflection : ce que l'on nomme LA THESE , L'ANTITHESE qui doit conduire à LA SYNTHESE - J'ai sélectionné les 2 dessins ci-dessous afin d'illustrer ce propos. Posez-vous la question au plus profond de vous-même. Lequel de ces 2 dessins préférez-vous indépendamment du prix du marché. "Regarder et aimer avant d'acheter ..." comme nous le rappelle Martine Manfré Itzinger
Nous avons publié dans LIRE LA SUITE vos points de vue, vos réactions sur ce sujet que vous voudrez bien nous adresser par mail. Merci pour leurs textes à Martine Manfré Itzinger et Hervé Le Goareguer.
Edgar Degas (1834-1917), Dans les coulisses, danseuse rajustant son chausson, fusain portant le cachet de la signature en rouge en bas à gauche, 45 x 34 cm.
Adjugé : 114 950 €Bertrand Mogniat-Duclos dessins 37,5 x 29,5 cm signé en bas à droite du cachet
Voir Exposition virtuelle Virtual Exhibition Mogniat-Duclos (1903-1987)
Biographie de Bertrand MOGNIAT DUCLOS
PRIX : 150 €
Regarder et aimer avant d’acheter par Martine Manfré Itzinger |
Les artistes ne pourraient pas vivre si le marché de l’art ne les soutenait pas et le mythe de l’artiste maudit qui ne fait de chef d’oeuvre que dans la misère est un leurre. Pierre Rosenberg l’avait bien compris, lui qui assurait un revenu confortable aux artistes dont il soutenait le talent pour qu’ils se concentrent sur leur art, libérés des contraintes matérielles. Libéré des lois du marché par le marchand lui même, quel génie! Car l’artiste n’ayant plus à produire ce qui allait se vendre s'adonnait à la véritable création. L’artiste doit vendre pour vivre et vivre pour créer. On ne peut dénigrer le marché de l’art qui reste indispensable car il permet à l’oeuvre d’être exposée pour être vue. De tout temps la valeur d’un travail, quel qu'il soit, s’est mesurée à l’aune d’espèces sonnantes et trébuchantes et, lorsque l’on parle de l’oeuvre d’un artiste, on parle bien de son «travail». Gardons cependant en mémoire que les marchands d’art sont aussi des gens de passion, des découvreurs de talents et des passeurs. Et même si argent et création s'avèrent finalement indissociables, chaque acheteur garde le choix de se placer du côté des passionnés ou des spéculateurs. Alors faut-il se focaliser sur la cote d’un artiste ou la valeur d’une oeuvre sur le marché pour l’acheter? Non! Non! Et non! On peut laisser la notoriété de l’artiste nous guider dans nos choix, voire nous influencer, mais il me semble qu’un achat doit être guidé avant tout par l’émotion que l’oeuvre nous procure.Cette oeuvre que l’on a choisie, désirée, aimée et enfin achetée, peut être au dessus de nos moyens, mais qui nous a touché, qui nous a semblée tout à coup indispensable, incontournable, captivante et que l’on va regarder, voir et revoir, découvrir et redécouvrir jour après jour. Le nom n’est pas l’oeuvre et certains grands artistes seraient horrifiés aujourd’hui de voir ce qu’ils auraient mis au rebut dans leur atelier, atteindre des sommes faramineuses sur le marché de l’art. Tout ce qui est produit, même par des génies, n'est pas bon. La qualité ne se mesure pas à la valeur marchande. A l’inverse, certains inconnus méritent qu’on s’attarde sur leurs oeuvres et bon nombre de galeristes, heureusement, restent des intermédiaires et des guides au service de l’art et des artistes. Ce qui me semble primordial reste notre regard porté sur l’oeuvre et regarder, c’est aussi se laisser guider par le coeur. |
Une œuvre d'art n'a pas de prix ! En tout cas, elle n'a sûrement pas un « prix fixe ». par Hervé LE GOAREGUER
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Un tableau, une sculpture, un roman ou un poème, une musique, n'appartient pas nécessairement au vaste domaine de l'art. Il faut, entre autres, pour que cette appartenance existe que l'œuvre soit singulière, qu'en émane une harmonie parfois dérangeante, que s'établisse une correspondance sensible et intime entre « l'objet » voué et le spectateur, l'auditeur ou le lecteur... Une fois son statut d'objet d'art confirmé se pose alors le problème de sa valeur et celui de son acquisition possible. Les techniques modernes reproduisent aisément les peintures et les sculptures facilitant leur diffusion. Mais, avoir en sa possession, une œuvre originale est d'un autre intérêt, d'une autre « saveur ». Intervient alors la question de la somme d'argent à débourser. Celle-ci dépend de multiples facteurs dont aucun n'a d'existence intrinsèque réelle. La rareté qui rend plus cher un objet convoité a peu d'incidence ici, chaque œuvre d'art étant unique. Le travail de l'artiste dont nous pouvons appréhender la somme par le nombre d'années ouvrées nécessaires à la venue de l'œuvre peut générer une notion d'échelle de valeur (1). Les dimensions d'une peinture ou d'une sculpture entrent parfois dans le compte... Le travail du galeriste qui repère l'artiste, l'expose sur ses murs et maintenant sur ses réseaux virtuels est aussi contributif ainsi que la presse et les livres qui en signalent les expositions, les salons, qui l'interroge, lui ou ses connaisseurs et nous le montre. Le fait de voir, d'oublier, puis de revoir et de revoir encore une œuvre la rend familière, aimable et parfois désirable.(2) La notoriété de l'artiste intervient de façon évidente. Il se trouve parfois que sont déboursées pour ce seul motif des sommes importantes alors que le travail acheté n'est qu'une esquisse simple d'une œuvre plus importante à venir...Il est probable que se présentent là non des acheteurs d'art pour l'art mais des acquéreurs d'objets-placements, connaisseurs ou non de l'évidence artistique. Un artiste connu dont la cote s'est maintenue pendant des décennies restera une valeur sûre dans ses grandes œuvres inabordables mais aussi dans ses simples tracés découverts au fond d'un carton oublié...C'est possiblement la raison pour laquelle l'esquisse de Degas a été achetée pour un tel prix...Et pourquoi pas ? Ce placement financier est probablement plus sûr que l'achat d'actions d'Airbus pour la même somme... Mais cependant quel dommage et quelle tristesse de savoir que dorment au fond d'ateliers voire de caves ou de greniers de si surprenantes et belles petites ou grandes choses qui ne seront jamais acquises, ou données, parce que jamais estimées et qui n'embelliront donc pas de leurs bienfaits les murs ripolinés et sans vie de trop nombreux intérieurs. Il arrive, et c'est heureux, qu'un « coup de cœur » soit d'emblée décisif. L'achat de l'œuvre s'effectue alors selon les possibilités financières de l'acquéreur. L'essentiel est alors que ce coup du cœur se soit porté sur une œuvre accessible. Et il en est !... Le travail et le temps génèrent le talent qui s'insinue dans l'œuvre. Parfois, celle-ci se dépose dans un monde d'or ou d'argent. (1) Il a fallu « trente ans » à Picasso pour que son trait dessine ses colombes, ses toros ou ses mains... (2) « Pour qu'une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps » Gustave Flaubert (3) « Or, il y avait un si long temps que j'avais goût de ce poème... » Amers, Saint John Perse |