SHUROOQ AMIN : SOUS LES MASQUES LA FEMME MAIS L’HOMME AUSSI |
par Jean-Paul Gavard-Perret On prendra facilement Shurooq Amin pour folle parce qu'elle est selon ses propres mots « pleine d'espoir pour le monde et croit à la possibilité d'un miracle ». On comprendra aussi que l'artiste vit toujours ses rêves d'enfants. Elle est même sûr qu'ils vont se réaliser même si elle pense avoir perdu beaucoup de temps avec ses montres et son divorce... Venue « de l’amour, du soleil et de la lune » la créatrice aime rire avec ses enfants et garde une indiscutable confiance en ses pouvoirs. Travaillant dans son atelier près de sa maison, de manière imprévisible, sans routine elle s’en remet à sa totale inspiration qui abonde. Transcendée par l'humain, écoutant parfois du rock et parfois du Chopin elle ne se répète jamais même si elle se me voit comme lorsqu'elle avait 18 ans. Se sentant très proche de Frida Kahlo et de Georgia O'Keeffe, l'amour reste pour elle la valeur fondamentale : « Nous avons tous de l’amour en nous. Nous sommes tous nés ainsi ; certains d’entre nous perde ce sens en grandissant. Je donne tout l’amour chaque jour à qui que ce soit qu’il le veuille ou non. Pour ceux qui ne le veulent pas ils seront malgré tout plus heureux parce qu’ils auront reçu de l’énergie positive sans même savoir comment ou pourquoi. Et si une seule personne ressent cet amour elle renverra de l’amour aussi » dit-elle. La Koweitienne est une artiste multimédia et une poétesse anglophone (première Koweitienne à recevoir en 2007 le prestigieux « Pushcart Prize » aux USA) qui ne cesse d'affronter les sujets les plus controversés et les tabous propres à sa propre culture comme à la culture mondialisante. Ses œuvres sont autant visible dans son pays ( the Bayan Palace et the Museum of Modern Art de Koweit Kuwait), qu’à Vienne, Paris, New York, Damas, Dubaï, Le Caire, Amsterdam, Londres, Suisse, etc.. Une rétrospective de son oeuvre a été présentée en 2011 dans le “biannual art journal Contemporary Practices: Visual Arts from the Middle East ». Sa série phare « The Society Girls » a été présentée la première fois à la « Tilal Gallery » (2010). « The Bullet Serie » a été montrée en 2011 à la Lahd Gallery de Londres. Cette série est sans doute son travail le plus politique :chaque peinture a été percutée par un coup de feu tiré par l’artiste placée à 50 mètres de ces toiles (un document accompagne cette « ‘action-painting » d’un type très particulier. Sa dernière série « It's a Man's World » a été présentée en mars 2012 à la « Al M Gallery » à Koweït City. Mais elle a été interdite 3 heures après son ouverture par les autorités qui ont considéré ce travail comme pornographique et anti-islamiste. Et pour la première fois dans le pays cette exposition fut considérée comme illégale. Sa série "Society Girls" est très représentative de son travail. Il s'agit d'une exploration - parfois sur le mode métaphorique et ironique - de la société moderne dans les pays du Golfe. Leur force tient au fait que l'artiste ne cherche ni à glorifier ni à critiquer de manière systématique la société. Sous un mode réaliste (ce qui n'exclue pas une poésie certaine) la peinture devient subtilement satirique dans la juxtaposition d'éléments traditionnels et contemporains. L'artiste fait surgir des êtres et une société hybrides à cheval entre l'Ouest et le Moyen Orient. Femmes ou hommes (eux sont plus systématiquement voilés que les premières !) sont mis en situations quotidiennes. S’en dégagent des tranches de vie prise dans ce que l'artiste nomme « a sameness of identity ». Ces filles ne ressemblent à rien parce qu'elles ressemblent à tous. La notion de frontière semble en instance d'éclater même si pourtant les entraves sont toujours soulignées au gré des situations. Les divers effets de masques montrent les êtres pris dans un certain "clonage". Mais l’artiste montre aussi tout le jeu de la sensualité et de l'éros qui se jouent sur une telle scène moyen-orientale dans laquelle la créatrice met à mal la tartufferie. Les jambes des femmes sont révélées de manière pulpeuse par l'huile d’une peinture qui leur donne une puissance suggestive. A l'inverse du masque des hommes, celui des femmes devient nettement érotique. La peau surgit par effet de matière comme émerge la puissance passionnelle d'une peinture rare. Elle ose s'imposer dans un monde où a priori elle n'avait pas droit de citer. De telles œuvres sont là pour annihiler les stéréotypes, ouvrir l'esprit de ceux qui veulent cuirasser leurs regards. C'est pour Shurooq Amin le rôle d'une artiste. Elle le revendique fièrement. Avec elle derrière l'appel des muezzins la pluralité s'infuse. Pluralité des sexes et celle des cultures. L'artiste est le signe d'un Koweït nouveau. Peut-être encore prématuré. Jean-Paul Gavard-Perret Visit the Shurooq Amin's website : www.shurooqamin.com |