une exposition sur l'engagement dans l'art et la question féminine
Dès le début de l’art urbain, les artistes introduisent la figure féminine, ou des questions liées, dans leur travail, et ce indifféremment de leur genre. Mais en quelques décennies, ce sujet a beaucoup évolué.
Les pionniers du graffiti dit « old school » (T-Kid, Quik, Mode 2) peignent quasi-systématiquement des femmes plantureuses, inspirées de l'univers de la bande dessinée. Quant aux quelques femmes du mouvement graffiti de la première heure, elles s’incarnent aussi sous des formes aguicheuses, à quelques exceptions près comme chez Lady Pink. Seule une artiste comme Miss.Tic impose dès le début des années 80 des textes aussi engagés que poétiques. La silhouette qui les accompagne, peut-être son avatar, n’en demeure pas moins sexy mais elle introduit, tout comme Miss Van, davantage de profondeur, d’ambiguïté et de complexité dans la représentation de la figure féminine.
Pourtant dès 1989 aux États-Unis des voix s'élèvent contre cette manière de célébrer et mettre en scène la femme dans l'espace public, ou contre la sous-représentation des femmes au sein des institutions culturelles. Ainsi les Guerrilla Girls placardent à New York de grandes affiches s’offusquant du manque de présence des artistes femmes dans les collections des musées et surtout de la façon dont les femmes sont le plus souvent représentées dans les œuvres : nues.
L’omniprésence des images publicitaires dans la ville et la façon dont la publicité s’empare des corps féminins pour en faire des auxiliaires au service de la vente de produits alerte aussi l’artiste Zevs. En 2002 à Berlin, il découpe dans une monumentale bâche publicitaire le mannequin qui pose pour la promotion des cafés Lavazza. Au-dessus du trou béant dans l'affiche, il écrit : « Kidnapping visuel - Payez maintenant ! », questionnant ainsi cette façon stéréotypée de considérer et d’instrumentaliser la femme.
Pour ne pas se retrouver prisonnières de ces images figées, d’autres artistes privilégient des approches moins directes mais non moins revendicatrices de la place que peut prendre la féminité dans ce mouvement artistique, qu’il s’agisse d’œuvres abstraites et colorées chez Maya Hayuk ou de l’introduction du tricot dans l’espace urbain chez Magda Sayeg.
A l’orée des années 2000, les artistes urbain.es puisent une force indéniable dans la revendication de leurs engagements. Ainsi Yseult YZ Digan, ou plus récemment encore Madame, placent dans le paysage citadin les portraits de femmes évocatrices tant de poésie et d’hommage au passé, que de combats plus actuels. La figure de la femme devient aussi un corps qui s’assume et revendique sa présence dehors (Aya Tarek). Mais pour tou.tes ces artistes, les engagements ne se cantonnent pas à une réductrice défense d’un genre au détriment de l’autre. Ils s’inscrivent au contraire dans des démarches plus larges, qui permettent d’envisager la place de la femme dans nos villes et nos sociétés à l’aune d’autres enjeux, qu’il s’agisse du lien social (JR, eL Seed, Saype mais aussi à leurs manières Swoon et Mark Jenkins) ou encore des questions écologiques et migratoires (Eko Nugroho, Robert Montgomery, Icy & Sot).
Aujourd’hui l’art interroge aussi la notion même de l’espace public en élargissant son champ d’expression à celui de l’espace digital. L’artiste argentine Amalia Ulman œuvre ainsi dans et avec ce nouveau territoire qu’est Instagram, tandis que le collectif d’artistes français Obvious dont l'outil est l'intelligence artificielle propose de créer une œuvre sur les femmes ensemble.
- Magda Danysz
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