Dans une scénographie, créée tout spécialement pour les espaces du Grand Palais et rappelant l’univers méditerranéen de Miró, des oeuvres majeures (peintures et dessins, céramiques et sculptures, livres illustrés) se côtoient afin de mettre en lumière cet itinéraire marqué de renouvellements incessants. L’exposition débute au premier étage, avec les périodes fauve, cubiste et détailliste, suivie de l’époque surréaliste où Miró invente un monde poétique, inconnu jusqu’alors dans la peinture du XXe siècle. Ces périodes fécondes mettent en évidence les questionnements de l’artiste, ses recherches ainsi que sa palette de couleurs toujours au service d’un vocabulaire de formes inusitées et nouvelles. Ni abstrait ni figuratif, riche de multiples inventions, c’est dans un parcours poétique que l’on découvre le langage résolument neuf que n’a eu de cesse de développer Miró. Son art prend ses sources dans la vitalité du quotidien pour s’épanouir dans un monde jusqu’alors méconnu où les rêves du créateur occupent une place privilégiée. « Il me faut un point de départ, explique Miró, ne serait-ce qu’un grain de poussière ou un éclat de lumière. Cette forme me procure une série de choses, une chose faisant naître une autre chose. Ainsi un bout de fil peut-il me déclencher un monde. »
La montée du fascisme, dans les années 1930, le voit s’engager dans une lutte sans fin pour la liberté. Des peintures dites « sauvages » illustrent la force étrange et inédite qu’il donne à son oeuvre dans ces moments de tension extrême. Dans les années 1940, l’apparition des Constellations, une série de petits formats exceptionnelle exécutée à Varengeville-sur-Mer, en Normandie, livre un dialogue avec des rêves inassouvis. Bientôt ce sera l’interrogation sur la céramique qui donnera naissance à une sculpture qui témoigne, là aussi, de cette passion pour la réalité et une part de rêverie qui n’était pas a priori imaginable dans cette discipline. Joan Miró, Autoportrait (détail), 1919, huile sur toile, 73 x 60 cm, France, Paris, Musée national Picasso-Paris, donation héritiers Picasso 1973/1978 © Successió Miró / Adagp, Paris 2018 / Photo Rmn-Grand Palais (musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau
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The exhibition has been designed specifically for the Grand Palais spaces and evokes Miró’s Mediterranean world, with major works (paintings and drawings, sculptures and ceramic, illustrated books) displayed together to illuminate an artistic career defined by continuous renewal. The exhibition begins on the first floor, with the fauvist, cubist and detailist periods, followed by a surrealist period where Miró invented a poetic world that was previously unseen in the world of 20th century painting. These fruitful periods demonstrate the artist’s investigations and research, as well as his colour palette, which fuelled a vocabulary of new and unusual forms. Neither abstract nor figurative and boasting a wealth of inventions, the poetic exhibition circuit reveals the resolutely new language that Miró continued to develop. He found the sources for his art in the vitality of daily life, blossoming into a previously unknown world where the dreams of the creator have pride of place. “I need a point of departure,” explained Miró, “be it a speck of dust or a shaft of light. This shape offers me a range of ideas, with one thing leading to another. In this way, a single thread can open up a whole new world to me.”
The rise of fascism in the 1930s saw him engaged in an endless quest for freedom. The so-called “wild” paintings illustrate the strange and unprecedented power that he gave his work during these extremely tense times. In the 1940s, the appearance of the Constellations, an exceptional series of small-format works produced at Varengeville-sur-Mer, in Normandy, opened up a dialogue with unfulfilled dreams. His investigations into ceramics soon gave rise to a form of sculpture that also demonstrated his passion for reality and a sense of reverie that seemed unimaginable in this discipline. Miró transformed the world around him with an apparent simplicity of means, whether a symbol, the tracing Joan Miró, Self Portrait (detail), 1919, on canvas, 73 x 60 cm, France, Paris, Musée national Picasso-Paris, Gift Picasso Heritage 1973/1978 © Successió Miró / Adagp, Paris 2018 / Photo Rmn-Grand Palais (musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau
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1893 Naissance de Joan Miró Ferrà le 20 avril à Barcelone, premier enfant de Miquel Miró i Adzerias, orfèvre et horloger, et de Dolores Ferrà i Oromi. 1907-1911 Miró s’inscrit à l’École de commerce de Barcelone mais suit parallèlement à l’école de la Lonja les cours de Modest Urgell et de Josep Pasco. Son père le contraint à travailler comme employé aux écritures dans une entreprise de quincaillerie. Déprimé, Miró contracte la typhoïde. Retiré dans la ferme familiale de Mont-roig, il décide en 1911 de se consacrer exclusivement à la peinture. 1912-1915 Miró s’inscrit à l’école d’art de Francesc Galí à Barcelone. Il y rencontre Joan Prats, Josep Francesc Ràfols, et Enric Cristófol Ricart, Josep Llorens Artigas. Il fréquente assidûment la galerie de Josep Dalmau où il découvre les avant-gardes. 1916-1919 À Barcelone, Miró se mêle à la vie intellectuelle portée par les revues catalanes et françaises. En 1917, l’Exposition d’art français organisée par Vollard et présentée au Palais des Beaux-Arts de Barcelone exerce une forte impression sur Miró. Sa première exposition en 1918 à la galerie Dalmau ne rencontre aucun succès. Révolté contre le conservatisme du Cercle artistique de Sant Lluc, il fonde avec Ràfols, Ricart et Artigas, l’Agrupació Courbet. 1920-1924 Miró partage son temps entre Paris et Mont-roig. Il développe un nouveau style pictural à travers ses paysages. Installé dans l’atelier parisien de la rue Blomet, il a pour voisin André Masson. Il fréquente Antonin Artaud, Michel Leiris, Georges Limbour, Armand Salacrou et Roland Tual. 1925-1929 Miró participe à la première exposition surréaliste en 1925. Il réalise la série des « Peintures de rêves » (1925-1927), celle des « Paysages imaginaires » (1926-1927), travaille aux décors et aux costumes du ballet Roméo et Juliette avec Max Ernst (1926). En 1927, sa volonté d’« assassiner la peinture » l’amène à exécuter ses premiers tableaux-objets et collages (1928). 1930-1934 Années d’expérimentations plastiques, Miró explore d’autres langages et fait appel à des matériaux vils, naturels ou manufacturés. Il exécute les décors et les costumes du ballet Jeux d’enfants. Il réalise la série de 18 grandes « Peintures d’après collages » (1933) et entreprend un cycle de peintures « sauvages », aux couleurs vives et aux figures agressives. 1936-1939 La guerre civile espagnole contraint Miró à rester à Paris. Poussé par les événements dramatiques, il se lance dans un nouveau réalisme. Pour le pavillon espagnol de l’Exposition universelle de 1937, il réalise un grand panneau mural Le Faucheur. 1940-1955 De retour en Espagne, il achève la série magistrale des 23 Constellations. Il entreprend ses premières sculptures et céramiques avec Josep Llorens i Artigas et travaille assidûment à son oeuvre graphique. 1956-1983 Dans son atelier de Palma de Majorque, Miró réalise ses premiers grands triptyques. Pour la Fondation Maeght, il réalise le Labyrinthe, un ensemble de sculptures en collaboration avec Artigas. Il effectue plusieurs séjours aux États-Unis et au Japon. Miró est devenu un artiste majeur, reconnu internationalement. Il meurt le 25 décembre 1983 à Palma de Majorque.
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Le Grand Palais consacre une grande rétrospective à Joan Miró. Quand s’est tenu le dernier événement important sur cet artiste en France ? Quel propos et quelles thématiques souhaitez-vous développer dans cette exposition ? Jean-Louis Prat : Il y a eu une exposition au Grand Palais en 1974. J’accompagnais Miró et Jacques Dupin (1927-2012) en était le co-commissaire avec Jean Leymarie. Les dernières expositions importantes dans lesquelles Miró occupait une place importante sont celles qui ont eu lieu au Centre Pompidou-Musée national d’art moderne : La Révolution surréaliste (2002) et Joan Miró 1917-1934. La naissance du monde (2004). Dans la rétrospective de 2018, le visiteur suivra le chemin de Miró durant toute une vie, presque 70 ans de création, d’un renouvellement constant où il conserve toute sa force et une fraîcheur d’esprit inégalée. Les formats de la peinture grandissent au fil de l’exposition et on pourra y découvrir divers supports et techniques qu’il a su totalement maîtriser. Miró a probablement été marqué par 50 ans d’histoire forgée par 2 guerres mondiales. Ces évènements considérables, l’interrogation qu’il a sur les hommes, sur lui-même et sur sa terre natale ont toujours animé son travail.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la scénographie ? J-L. P. : La scénographie est chronologique à l’exception du triptyque des Bleus de 1961, qui n’a pas pu être placé au premier étage en raison des formats et de la contrainte du lieu. Le public aura un sentiment de renouvellement dans ce parcours au Grand Palais par la variété des espaces créés. Joan Miró est un jalon indispensable pour l’art moderne et contemporain. La dernière salle consacrée aux 20 dernières années est intéressante à ce titre.
Des titres, des signes et des inscriptions ponctuent ses toiles. Est-ce un langage qui s’ajoute aux images, comme des signes de plus ? J-L. P. : Miró a su créer un alphabet qu’on ne connaissait pas en peinture. C’est un langage dont nous avons besoin aujourd’hui, qui n’est ni figuratif ni abstrait et qui invente quelque chose en relation avec l’esprit, un univers ouvert au monde. Il y a toujours chez lui une fidélité avec le sol qui l’a vu naître et également avec ceux qu’il a connus. Dans son tableau très important La Ferme, qu’acheta Hemingway, il traduit son attachement à sa terre natale à Mont-roig. Il part de la réalité de l’homme qui cultive et la réinvente avec ses propres codes et signes désormais inoubliables.
Le 45 rue Blomet, adresse parisienne de Miró dans les années vingt, est souvent cité comme un lieu animé de la vie intellectuelle dans la capitale. Quels sont les artistes dont Miró se sent alors le plus proche ? Ces amitiés ont-elles eu une incidence sur son travail ? J-L. P. : Pendant la Première Guerre mondiale, une exposition d’art français s’est tenue à Barcelone. Miró a découvert alors un art qu’il connaissait peu, le fauvisme et le cubisme. Dès ce moment, il veut découvrir Paris qui était le grand centre intellectuel jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Il souhaitait se mettre en rapport avec l’école française de Cézanne jusqu’au cubisme. Miró n’était pas un « catalan casanier », mais un « catalan international », comme il l’écrira. Il voulait quitter Barcelone poussé par sa curiosité de comprendre et de voir. À Paris, il a rencontré les grands poètes de son temps. Il va se lier d’amitié avec Paul Eluard, Michel Leiris, Tristan Tzara, Robert Desnos, André Breton mais aussi, bien entendu avec André Masson et Pablo Picasso et tant d’autres qui l’aideront à forger son futur. Mais il sera toujours indépendant. Curieusement, il semble aussi bien interrogé les intellectuels qui écrivent que les peintres. Il a le goût de la profondeur d’une pensée. Il se dit que les mots qu’inventent ces poètes peuvent lui servir comme point d’appui pour découvrir un autre monde. Il regarde la peinture mais il ne fera jamais à « la manière de », c’est ce qui, probablement, lui donne son autorité et son caractère unique.
Dès 1931, l’oeuvre de Miró est présentée à New York, d’abord à la Galerie Pierre Matisse puis dix ans plus tard au Museum of Modern Art. Cette première grande rétrospective permet aux jeunes peintres américains d’entrer en contact avec son univers. En retour, a-t-on pu constater une influence américaine sur la peinture de l’artiste catalan ? Les années 1930 ont contribué, grâce à la Galerie Pierre Matisse, à la connaissance de Miró aux États-Unis et à sa reconnaissance plus définitive 10 ans plus tard en 1941 au MoMA. Miró est allé à New York pour la première fois en 1947. C’est un nouveau monde pour lui avec une urbanisation toute verticale et un ciel différent. Il découvre également les artistes qui venaient d’Europe, comme Mark Rothko (1903- 1970) arrivé de Lituanie par exemple. Ces artistes ont créé l’art américain de l’École de New York. Warhol, Lichtenstein, Rauschenberg, Motherwell ont forgé l’âme nouvelle de ce pays, car ils avaient la générosité de l’accueil pour les étrangers qui venaient s’établir chez eux, ce qui a beaucoup frappé Joan Miró. Ses grands formats, le côté « all over » (surface peinte totalement) et la relation à l’espace sont l’écho des vastes étendues américaines et représentent une interrogation naturelle du peintre qui s’intégrait parfaitement bien avec son langage, par exemple, lorsqu’il aborde le thème du ciel dans son triptyque Bleu I/III (Paris, Centre Pompidou) peint en 1961.
Plusieurs fondations sont consacrées à Miró : à Barcelone, à Palma, à Saint-Paul de Vence. Qu’ont représenté ces institutions pour l’artiste, quelle a été sa part d’investissement dans ces projets ? J-L. P. : À l’exception de celle de Palma qui a été créée après sa mort par Madame Miró, son investissement a toujours été total avec une générosité sans fin. Il a réalisé le labyrinthe de sculptures à la Fondation Maeght. C’est Josep Lluís Sert (1902-1983) qui a construit l’atelier de son grand ami à Palma mais également la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence en 1964 et celle de Barcelone. Miró a contribué financièrement à la Fondation de Barcelone et a donné des oeuvres exceptionnelles.
Joan Miró a été votre ami. Y a-t-il un souvenir que vous tenez à partager avec le public et que souhaitez-vous que les visiteurs retiennent de l’exposition ? J-L. P. : J’ai toujours été ébloui par Miró, par ce regard, sa générosité et cette attention qu’il avait aux autres. Je l’ai vu de manière régulière jusqu’à sa mort le 25 décembre 1983. Nous allions au cirque et il était fasciné de voir les artistes qui s’y produisaient. Il y avait chez lui un sens aigu d’interroger l’instant, de le vivre pleinement et avec les autres. Miró est universel, il est compris sur tous les continents. Et j’espère que le public sera là pour partager, car partager les rêves de Miró, c’est partager un espoir et partager un espoir, c’est croire qu’il y a toujours quelque chose d’intéressant par rapport au temps où l’on vit.
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