René Magritte Centre Pompidou Paris

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René Magritte
La trahison des images

21 septembre 2016 - 23 janvier 2017
de 11h00 à 21h00 ou de 11h00 à 23h00
Galerie 2 -
Centre Pompidou, Paris
Place Georges-Pompidou, 75004 Paris

L’exposition Magritte. La trahison des images propose une approche à ce jour inédite de l’œuvre de l’artiste belge René Magritte. Rassemblant les œuvres emblématiques, comme d'autres peu connues de l’artiste, provenant des plus importantes collections publiques et privées, l’exposition offre une lecture renouvelée de l’une des figures magistrales de l’art moderne.

Une centaine de tableaux, de dessins, et des documents d’archives, sont réunis pour offrir au public cette approche qui s’inscrit dans la ligne des monographies que le Centre Pompidou a consacré aux figures majeures de l‘art du 20e siècle : « Edward Munch. L’œil moderne », « Matisse. Paires et séries » et « Marcel Duchamp. La peinture, même ». L’exposition Magritte. La trahison des images explore un intérêt du peintre pour la philosophie, qui culmine, en 1973, avec Ceci n’est pas une pipe que publie Michel Foucault, fruit de ses échanges avec l’artiste.

Dans une conférence qu’il donne en 1936, Magritte déclare que Les affinités électives, qu’il peint en 1932, marque un tournant dans son œuvre. Ce tableau signe son renoncement à l'automatisme, à l’arbitraire du premier surréalisme. L’œuvre, qui montre un œuf enfermé dans une cage, est la première de ses peintures vouée à la résolution de ce qu’il nomme : un « problème ». Au hasard ou à la « rencontre fortuite des machines à coudre et des parapluies », succède une méthode implacable et logique, une solution apportée aux « problèmes » de la femme, de la chaise, des souliers, de la pluie… Les recherches appliquées à ces « problèmes », qui marquent le tournant « raisonnant » de l’œuvre de Magritte, ouvrent l’exposition.

L’exposition sera présentée dans un format restreint à la Schirn Kunsthalle Frankfurt, en Allemagne du 10 février au 5 juin 2017.

Commissaire : Mnam/Cci, Didier Ottinger

René Magritte (1898 - 1967) "Les vacances de Hegel", 1958 © Adagp, Paris 2016 © Photothèque R. Magritte BI, Adagp, Paris, 2016

René Magritte (1898 - 1967) "Les vacances de Hegel", 1958
© Adagp, Paris 2016 © Photothèque R. Magritte
BI, Adagp, Paris, 2016

Le surréalisme a trouvé sa définition de la beauté dans les pages des Chants de Maldoror du comte de Lautréamont : « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! » Cette définition disait le choix d’André Breton et de ses amis d’une esthétique du choc et de l’arbitraire, celle des premiers collages de Max Ernst, celle des premiers écrits du mouvement. C’est cette « beauté » que découvre René Magritte en 1923, lorsqu’il est pour la première fois confronté à la reproduction d’un tableau de Giorgio De Chirico, Chant d’amour. Au parapluie et à la machine à coudre, le tableau de Chirico substitue un gant de caoutchouc rouge et le moulage en plâtre du profil d’un dieu grec. Magritte en est électrisé. Pendant quelques années, il s’essaie lui aussi au rapprochement de jockeys et de bilboquets, de rideaux et de perruques… Assez vite (à partir de 1927), il réalise ses premiers tableaux de mots où il confronte l’image d’un objet et une définition écrite, à laquelle rien ne l’associe dans l’ordre de la logique (à l’image d’un sac à main est associé « le ciel », à un couteau pliant, « l’oiseau »). Les tableaux de mots ouvrent un chapitre nouveau de la peinture de Magritte. Ils engagent une réflexion complexe quant au statut des images. Subrepticement, ces œuvres mettent en cause la hiérarchie que la philosophie a établie entre mots et images. Dans une conférence (« La Ligne de Vie ») qu’il fait en 1938 à Anvers, Magritte fournit le sens de cette mutation de son art ; il donne à sa conversion la forme d’un récit de rêve : « Une nuit de 1936, je m’éveillai dans une chambre où l’on avait placé une cage et son oiseau endormi. Une magnifique erreur me fit voir dans la cage l’oiseau disparu et remplacé par un œuf. Je tenais là un nouveau secret poétique étonnant, car le choc que je ressentis était provoqué précisément par l’affinité de deux objets, la cage et l’œuf, alors que précédemment ce choc était provoqué par la rencontre d’objets étrangers entre eux. […] Je recherchai, à partir de là, si d’autres objets que la cage pouvaient également me révéler – grâce à la mise en lumière d’un élément qui leur serait propre et qui leur serait rigoureusement prédestiné – la même poésie évidente que l’œuf et la cage avaient su produire par leur rapprochement. » Renonçant aux rapprochements fortuits, hasardeux, arbitraires, les tableaux de Magritte deviennent aussi rigoureux que des formules mathématiques… Chacun d’eux devient la solution à ce que le peintre désigne comme un « problème » : « Comme ces recherches ne pouvaient donner pour chaque objet qu’une seule réponse exacte, mes investigations ressemblaient à la poursuite de la solution d’un problème dont j’avais trois données : l’objet, la chose attachée à lui dans l’ombre de ma conscience et la lumière où cette chose devait parvenir. »

IL FALLAIT QUE JE DÉCOUVRE « MOI-MÊME » QUE LA PENSÉE C’EST LA SEULE LUMIÈRE. RENÉ MAGRITTE *

René Magritte (1898 - 1967) Les marches de l'été 1938 Huile sur toile 60 x 73 cm Inscriptions : S.B.DR. : Magritte Achat, 1991 Numéro d'inventaire : AM 1991-138 © Philippe Migeat - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP © Adagp, Paris
René Magritte (1898 - 1967)
Les marches de l'été 1938
Huile sur toile 60 x 73 cm
Inscriptions : S.B.DR. : Magritte Achat, 1991
Numéro d'inventaire : AM 1991-138
© Philippe Migeat - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP
© Adagp, Paris

Ce virage raisonnant de Magritte doit tout à la personnalité de Paul Nougé, scientifique de formation, fondateur du surréalisme belge. Il donne au mouvement qu’il crée en 1926 une orientation distincte de son homologue français. Le « scientisme », le réalisme que Nougé imprime aux manifestations du surréalisme belge, tient également à ses convictions marxistes. Magritte reste fidèle à cette orientation, qui le conduit à faire précocement de son art un outil cognitif, à vouloir bientôt confondre sa peinture avec la pensée elle-même. Une ambition qui devait se heurter aux convictions du surréalisme français dont le peintre belge se rapproche en 1927. Les membres que côtoie alors Magritte s’apprêtent à opérer ce qu’André Breton nommera bientôt leur tournant « raisonnant ». À Hegel qui devient leur lecture obligée, ils empruntent sa « dialectique », bientôt cuisinée à toutes les sauces théoriques du mouvement. Dans les pages de l’Esthétique de Hegel, les surréalistes trouvent la confirmation d’une préséance de la poésie sur toutes les formes d’art. Magritte se devait de prendre en compte cet iconoclasme insidieux. Pour y répondre, il publie en 1929 dans les pages de La Révolution surréaliste, un texte illustré dans lequel il analyse les rapports entre mots et images. La même année, il peint sa Trahison des images : aveu ironique du caractère mensonger qu’il feint de reconnaître à son art.

Si les années d’avant-guerre sont celles de la dispute de Magritte avec les poètes, les philosophes, après la Seconde Guerre mondiale, deviennent ses interlocuteurs. Après avoir écouté ses leçons, diffusées par la radio d’État belge, Magritte entre en contact épistolaire avec Alphonse De Waelhens, premier traducteur en français d’Être et Temps de Martin Heidegger. Waelhens conseille à Magritte la lecture de Maurice Merleau-Ponty. Le peintre lui répond : « Le discours très brillant de Merleau-Ponty est fort agréable à lire, mais il ne fait guère songer à la peinture – dont il paraît traiter cependant. Je dois même dire que lorsque cela arrive, il parle de la peinture comme si l’on parlait d’une œuvre philosophique en s’inquiétant du porte-plume et du papier qui ont servi à l’écrivain. » Au début des années 1960, il engage une correspondance nourrie avec Chaïm Perelman. Quand ce dernier l’invite à lire L’Image fascinante et le surréel de Maurice-Jean Lefebve, Magritte lui répond : « J’ai lu ‹ L’Image fascinante › que vous avez eu l’amabilité de m’adresser. J’ai lu cette brillante analyse de l’image avec le plaisir donné par certaines littératures de ‹ science-fiction ›, sans pouvoir y trouver une idée où l’imaginaire, le surréel, l’irréel soient traités comme ils le méritent. » Même si Waelhens et Perelman deviennent ses amis, les membres de son think tank philosophique, il ne lâche pas un pouce de terrain face à leurs tentatives d’annexion, de curatelle intellectuelle de son art.

TROUVER UNE IDÉE OÙ L’IMAGINAIRE, LE SURÉEL, L’IRRÉEL SOIENT TRAITÉS COMME ILS LE MÉRITENT.

En 1966, Magritte découvre un ouvrage dont le titre ne peut qu’attirer son attention : Les Mots et les choses. Il engage aussitôt une correspondance avec son auteur, Michel Foucault. De leurs échanges naîtra Ceci n’est pas une pipe, que publiera le philosophe en 1973. L’ambition de Magritte, visant à faire reconnaître son art comme une forme accomplie d’expression de l’Esprit, n’aura cessé de se heurter aux préjugés d’une tradition philosophique qui a stigmatisé la relation problématique des images avec le réel et la vérité. Par le choix qu’il fait d’un vocabulaire iconographique restreint (sa peinture agence à l’infini les mêmes objets : ombres, flammes, mots, corps morcelés, rideaux…), par ses mises en scène de ces mêmes objets, la peinture de Magritte ressemble à une réfutation systématique des mises en cause, des anathèmes dont la philosophie a pu accabler la peinture.

Les mots et les images

Magritte engage son premier combat pour la revendication de la dignité intellectuelle de son art (un combat contre la « bêtise (supposée) des peintres » déjà mené avant lui par Marcel Duchamp) avec les poètes qui constituent l’essentiel des rangs du surréalisme. Il prend la forme d’une enquête (publiée par La Révolution surréaliste) sur le statut respectif des mots et des images, sur leur possible substitution, puis la forme d’un tableau, La Trahison des images, qui répond à la définition de la poésie donnée quelques mois plus tôt par André Breton et Paul Éluard : « la poésie est une pipe ». L’histoire conflictuelle des mots et des images s’inscrit dans une histoire plus ancienne encore. Elle s’enracine dans l’épisode biblique qui voit Moïse fracasser les tables de la Loi devant son peuple en proie à l’idolâtrie des images : « Moïse se retourna et descendit de la montagne avec, en main, les deux tables du Témoignage, tables écrites des deux côtés, écrites sur l’une et l’autre face. […] Les tables étaient l’œuvre de Dieu, et l’écriture était celle de Dieu, gravée sur les tables. Et voici qu’en approchant du camp il aperçut le veau et des chœurs de danse. Moïse s’enflamma de colère ; il jeta de sa main les tables et les brisa au pied de la montagne. » Exode XXXII.

La caverne

Aucun texte n’a autant contribué au discrédit philosophique des images que l’allégorie de la caverne de Platon. Certains exégètes de ce récit y ont vu une mise en cause de nos représentations, fruits d’une perception tronquée, condamnées à n’être qu’un jeu d’ombres, que conventions et habitudes nous font prendre pour la réalité elle-même : « […] les hommes dont telle est la condition ne tiendraient, pour être le vrai, absolument rien d’autre que les ombres projetées par les objets fabriqués. […] ». À plusieurs reprises, Magritte a explicitement illustré la fable platonicienne, isolant et recomposant les éléments qui la constituent (feu, perception depuis des espaces clos, grottes, chambres, maisons).

L’invention de la peinture

C’est aux ombres que renvoie encore le récit fait par Pline l’Ancien de l’invention de la peinture : « Amoureuse d’un jeune homme qui partait pour un lointain voyage, [la fille du potier de Sicyone] renferma dans des lignes l’ombre de son visage projeté sur une muraille par la lumière d’une lampe ; le père appliqua de l’argile sur ce trait, et en fit un modèle qu’il mit au feu avec ses autres poteries. » Magritte retient de ce récit l’identification du sujet peint à l’inscription de son profil, la pulsion amoureuse à l’origine de son art.

Le rideau de Parrhasios

Pline l’Ancien, toujours dans son Histoire naturelle a fait des rideaux peints le motif illustrant le plus parfait illusionnisme pictural dont joue Parrhasios : « Ce dernier, dit-on, offrit le combat à Zeuxis. Celui-ci apporta des raisins peints avec tant de vérité, que des oiseaux vinrent les becqueter ; l’autre apporta un rideau si naturellement représenté, que Zeuxis, tout fier de la sentence des oiseaux, demanda qu’on tirât enfin le rideau, pour faire voir le tableau. Alors, […] il s’avoua vaincu avec une franchise modeste, attendu que lui n’avait trompé que des oiseaux, mais que Parrhasios avait trompé un artiste qui était Zeuxis. » Rejouant le geste de Parrhasios, les peintres du siècle d’or hollandais se sont plu à simuler l’existence d’un rideau dissimulant les natures mortes qu’ils reproduisaient avec un réalisme qui confinait au trompe-l’œil (Vermeer et Rembrandt ont eux aussi usé de ce stratagème exprimant leur distance ironique à l’égard de leur virtuosité réaliste). Magritte, le plus réaliste peut-être des peintres modernes, a fait lui aussi des rideaux l’attribut récurrent de son art.

Corps en morceaux

Relatant la genèse de la peinture d’une créature parfaite par le célèbre Zeuxis, Cicéron lègue aux peintres le principe d’une beauté nécessairement composite (Ingres se souviendra de cette loi, en peignant sa Source). Magritte n’aura cessé de réinterpréter cette loi classique d’une beauté fragmentaire, de digresser picturalement à partir des lois harmoniques de la beauté classique (devenant sous son pinceau, une Folie des grandeurs).

* Lettre à A. de Waelhens, 10 février 1953

Didier Ottinger

in Code Couleur, n°26, septembre-décembre 2016, pp. 6-11