Carlos Arriagada (1963) photo argentique 51 x 35,5 cm signée en numérotée au dos n°1 sur 20 exemplaires, tirage manuel de collection fait par l'artiste. (Encadrée) baguette noire. reproduite sur le Carton d'invitation de l'exposition décembre 2003 Galerie Le Musée Privé en collaboration avec l'Ambassade du Chili. Reproduite dans le Catalogue de l'exposition qui sera offert.
Prix : 1800 €
CARLOS ARRIAGADA : GEOMETRIES DE L’AMOUR
par Jean-Paul Gavard-Perret
Toute chose mentale a son arrière-pays qui se perd dans les ténèbres du corps dans sa nudité » écrit Bernard Noël. Et Carlos Arriagada cherche à dialoguer avec cette présence qui se tient là-bas, dans le noir et le blanc de ses nus argentiques savamment composés. Il découvre un langage plastique par lequel notre « Je » ricoche sur le « Tu » qu’il présente pour nous remplir d’ombre et de lumière, de lumière et de silence. En conséquence et à la question « Et vous, vous savez ce qu’il en est de l’amour ? » le photographe répond à sa façon. Plus besoin de mots mais le silence que chaque tirage impose. L’artiste comprend que la vérité d’Eros en dépit des brames amoureux est silence. La poésie d’amour est une poésie muette. Vouloir connaître la nudité par ce qu’écrire en écrit reviendrait à passer à côté. Non de l’outrepasser mais de passer outre.
Carlos Arriagada force à changer nos habitudes, à laisser tomber notre façon de voir la nudité. Mais au sein de cérémonies lointaines et intouchables il nous en fait le complice plus que le voyeur. Il oblige à inventer nos propres ruses comme il le fait lui-même par effet de lumière sur la peau afin d’en capter les profondeurs. La nudité devient langage plastique. Il indique un chemin jusque là ignoré par effet de frontières, d’assemblages et de mises en scène. Chaque prise est complexe. Le regardeur s’engage d’un côté, pour voir, revient, essaie un autre parcours. Sans fin son regard, change de ligne jusqu’à ce qu’il saisisse ce qu’il y a à saisir. Aller, venir, suivre les traits, les courbes, de nouveaux traits, d’autres lignes. . Arriagada fait du regardeur est un obsessionnel de sa propre obsession. Il aime à l’isoler dans des labyrinthes de plans et dans leur ambiance troglodytique où se combinent l’espace et le temps.
La nudité telle qu’il la présente (et non représente ) reste la belle étrangère qui plus que faire rêver interroge. La femme allongée, debout ou assise donne à éprouver un sentiment de séparation en des chorégraphies statiques (plus que poses) inventées par l’artiste. Reste l’écart qu’il existe entre ces femmes et ceux qui les regardent. Les premières deviennent un éclat ou un état de dispersion dont on ne saura jamais rien. Pas même s’il permet d’entrevoir une révélation ou la destruction. Les deux probablement car elles sont inséparables.
Arriagada nous fait glisser d’un état ordinaire de vision dans un état exceptionnel sans aucune prise sur le glissement. Bref rien n’a lieu que le lieu. L’artiste ne cherche pas à tout prix à créer un faux raccord entre le regardant et le regardé. Le corps est nu, mais la photographie demeure « habillée ». L’artiste sait que de l’amour de la nudité est d’abord celle de son inscription plastique. Elle seule génère la stupéfaction et le mystère de féeries aussi chaudes que glacées. C’est bien en cela qu’une telle œuvre est importante.
De la plénitude de la nudité Arriagada caresse quelques bords et dresse quelques balises. Il se frotte viscéralement à son noyau mais pour n’en émettre que la syncope. Chaque épreuve tente d’éjaculer de l’entr’ouvert. Le photographe élabore une pénétration par déplacement et réappropriation inventive d’un espace et d’un corps que le regardeur possèdera jamais. Mais si le cliché reste forcément de l’aplat il peut révéler des formes, des plaines et ses rondeurs aussi mentales que physiques. Tout se joue dans la sidération que la photographie décale.
Oscillant de l’intensité innommable de la nudité à ses contours nommables Arriagada garde la puissance de déstabiliser nos certitudes et notre façon de voir et de les déplacer dans la modalité d’un proche et d’un lointain cher à Blanchot. La photographie se coude et se vertèbre en des lignes et des jeux de lumière où le non savoir se dresse peu à peu en un corpus (un corps puce ?) sinon de transparence du moins de lumière émise des profondeurs de corps. De cet acte d’élucidation surgit ce qu’on peut nommer au moins une « restance » ou une résistance. Si elle ne donne pas l’illusion de la proximité des abîmes féminins elle permet d’en saisir le vertige et la fascination.