EXPOSITION PHOTOS GRECO À LA LOUISIANE SAINT GERMAIN DES PRES

Exposition d'art

Photo Juliette © Georges DudognonHotel La Louisiane au coeur de Saint-Germain-des-Prés
Août / septembre 2021
GRECO À LA LOUISIANE

L’ exposition “Gréco à La Louisiane“ ouvre le premier chapitre des expositions qui seront présentées entre les murs de l’hôtel La Louisiane, 60 rue de Seine, VIe arrondissement de Paris,
du 24 septembre au 14 octobre 2021 et courant 2022.

Juliette Gréco, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Miles Davis, Michel Leiris, Albertine Sarrazin, The Doors, les Pink Floyd, Quentin Tarantino… La Louisiane « d’aujourd’hui » hérite de ce passé équivoque comme les nuits Parisiennes, mais toujours littéraire et arty.

C’est pour rendre hommage à Juliette Gréco, qui vécut sa jeunesse à l’Hôtel La Louisiane, que l’établissement accueille entre ses murs cette exposition intimiste en trois volets : une vingtaine de portraits d’Irmeli Jung et des photographies de Georges Dudognon, dont certaines inédites, côtoieront des objets et archives privées de Juliette Gréco prêtées par Julie-Amour Rossini, sa petite-fille.

La chanteuse a habité à La Louisiane au début des années 1950. Bien avant qu’elle ne s’installe dans son Hôtel particulier de la rue de Verneuil, Juliette Gréco a posé son baluchon au 60 rue de Seine, guidée par les conseils de Jean-Paul Sartre qui lui-même y résidait avec Simone de Beauvoir depuis 1943.

 SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS, LES BELLES ANNÉES
SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS, LES BELLES ANNÉES

À Saint-Germain-des-Prés, Juliette Gréco a débuté sa vie d’artiste au gré des hasards et des rencontres. Pendant l’après-guerre, chacun repense, reconstruit le monde, adhère au « Parti », danse, chante, rêve, ou écoute les
réflexions de Jean-Paul Sartre, le normalien à deux têtes, l’une qui regarde le peuple, l’autre qui reste à Ulm. Chacun y va de son mot, de son sourire, sa note, son livre, et bien sûr de sa liberté.

L’année 1949, Juliette Gréco vit à La Louisiane, dans la chambre 10 (anciennement appelée la 9). Les photographies de Georges Dudognon en témoignent. Plus d’une dizaine y ont été prises, dans une chambre au plafond rond qui bénéficiait de l’installation d’une baignoire… du grand luxe pour l’époque !

Documents prêtés par JULIE-ROSSINI AMOUREntre les murs de l’hôtel, Sartre motive Gréco à chanter et conquérir les cabarets. Avec lui, elle choisit de chanter « L’Éternel Féminin », « Si tu t’imagines » de Raymond Queneau, « La Rue des Blancs Manteaux » (dont l’auteur est Sartre justement…). Sartre, afin de l’aider à exploiter ses talents, l’incite à prendre des cours de musique chez Vladimir Cosma.

Au Tabou, au Boeuf sur le Toit, à la Rose Rouge, (le cabaret de Nikos Papatakis, autre résident de l’hôtel), Juliette Gréco fait résonner son timbre de voix et séduit son premier public. En pleine époque de découverte du jazz et du swing, sa voix douce, glaçante d’émotion, comme sa robe noire, provoquent un contraste saisissant.

Durant ces mêmes années, Juliette Gréco vit ses élans de liberté avec de bons amis tels Boris Vian et son épouse, Roger Vadim, Annabelle Buffet, Anne-Marie Cazalis (journaliste et écrivaine) qui partage sa chambre, et confidente de ses premières idylles, dont une étonnante histoire d’amour avec Miles Davis, lui aussi résident de l’hôtel La Louisiane.

LA PLACE DE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS À SON NOM

Juliette vécut dans le VIe arrondissement ses premières idylles et ses toutes premières scènes. Sa personnalité et sa touche si particulière, hors des modes, ont conquis un large public jusqu’à faire de l’existentialiste habillée en garçon des années 50 une icône intemporelle de la chanson française.

Jusqu’à ce 23 septembre 2020. Sous une pluie glaciale, les visages masqués, ses fans ont vu partir leur icône…
Les chansons « Jolie Môme » et « Si tu t’imagines » ravivaient l’atmosphère grise du parvis de l’Eglise de la place de Saint-Germain-des-Prés, dont justement une partie sera inaugurée sous le nom de Place Juliette Gréco le 23 septembre 2021.

UNE ANECDOTE

Photo © Irmeli JungParmi les anecdotes, nous retenons celle-ci : le journal « Samedi-Soir » prit en photo la jeune femme debout devant le Tabou, ce « lieu de perdition » (!), près d’un inconnu… prénommé Roger Vadim ! Ils furent immortalisés comme l’auraient été n’importe quelles anonymes silhouettes dans le but de montrer au lectorat de Samedi-Soir (« Chose dimanche » ironise Boris Vian ! ) la soi-disant décadence qui régnait alors dans Saint-Germain-des-Prés ! Une anecdote cocasse aujourd’hui, quand nous observons rétrospectivement les succès ultérieurs des deux icônes…

Les controverses qui peuvent parfois planer sur Saint-Germain-des-Prés racontent encore aujourd’hui l’aura du quartier, qualifié par cette même presse de quartier « où l’on faisait trop l’amour! » et sa propension à susciter les jalousies.

L’exposition « Gréco à La Louisiane » entend ainsi rendre hommage à cette petite Jujube, décrite par les chroniqueurs comme la “Liane noire de nos nuits blanches”, cette beauté brune si particulière des rues de Seine et de Buci, qui, au fil du temps est devenue une icône française majeure, symbole de liberté, au même titre que Simone de Beauvoir, qui l’aida à se lancer, ou que son amie Françoise Sagan.

A La Louisiane,
Par Julie-Amour Rossini

Photo © Emilie MolineroIl y a de longues années; dans une soirée Parisienne, un ami me dit :

« Sais-tu que ma grand-mère a hébergé ta grand-mère dans son hôtel à Saint Germain des Près ?»

Je ne le savais pas; à cette époque j’étais une très jeune fille, connaissant bien sa mamie, mais beaucoup moins bien Gréco….

Je ne fis le rapprochement que bien plus tard…

Au travers de mes lectures j’ai eu connaissance d’un hôtel nommé « la Louisiane » : exotique, intriguant. Il avait accueilli tant de personnalités.

Il y a deux ans j’ai commencé à archiver les documents de ma grand-mère : quantités de souvenirs d’une longue vie riche et dense.

Je me devais de m’imprégner de ce parcours atypique ; de faire le lien entre mamie, Juliette, et Gréco, ne plus être une spectatrice discrète; faire ce que ma maman ne pourrait pas faire.

Il fallait commencer ce travail de son vivant; afin qu’elle puisse me raconter m’expliquer, se souvenir. Cela a auguré des moments magiques entre elle et moi; des moments intimes, drôles, tristes, étonnants.

Documents prêtés par JULIE-ROSSINI AMOURCe ne fut pas facile; fouiller dans les affaires des autres est quelque chose que je n’envisage pas au quotidien ; Mamie m’a beaucoup aidée en m’encourageant, je la voyais heureuse d’évoquer avec moi ses souvenirs.

Puis le 23 Septembre dernier mamie s’est éteinte; pas Gréco !

Le temps était venu pour moi d’apprendre à honorer sa mémoire.

Pourquoi ne pas commencer par le commencement en séjournant à La Louisiane; au coeur de Saint Germain des Prés ?

A cause de l’épidémie qui frappe notre monde j’ai dû reporter ce séjour jusqu’à tout récemment ; je n’ai pas été déçue; cet endroit a une âme forte.

Les hôtels parlent : le bruit feutré des couloirs, les âmes qui rôdent, le manège des gens qui vont qui viennent, s’aiment, se cachent, l’odeur du petit déjeuner, leur faune, lieux protégés, inspirants pour tant d’artistes.

Avant même de découvrir les lieux j’avais aimé la proposition de Xavier Blanchot : faire une exposition en l’honneur de Juliette Gréco.

Cette idée allait vers mon envie de commencer par le début ; mais pour cela il fallait choisir ce que je voulais partager ou non. Comment faire cela respectueusement ?

Ma mamie aimait chacune des choses qui habitaient sa maison, chaque petit papier, chaque objet d’art ou gadget ; elle avait conservé chaque télégramme d’encouragement, d’amour …

Il fallait accepter de partager l’émotion que j’ai eu la première fois que je dépliais un papier ou ouvrais une boite.

Ce petit hôtel mythique, intime, m’a paru être un bel écrin pour dévoiler respectueusement un peu de son intimité, rappeler son parcours incroyable, se souvenir de son don pour les rencontres, de sa précieuse liberté de penser et d’agir.

Documents prêtés par JULIE-ROSSINI AMOURJULIE-AMOUR ROSSINI, sa seule petite-fille, prête à l’hôtel La Louisiane des objets personnels issus des archives de sa grand-mère, Juliette Gréco. Ils aident à se plonger dans les « petites vérités du quotidien », celles d’une femme mais aussi d’une star.

Télégrammes d’amour ou d’encouragements, vêtements, à l’image d’un chemisier Chanel iconique, dessins humoristiques d’amis, affiches de cinéma, rendent plus proche de nous, celle qui fut « la muse de Saint-Germain-des-Prés »… Qui fut aussi, l’amie des existentialistes et de son représentant le plus notoire : Jean-Paul Sartre.

IRMELI JUNG présente une vingtaine de photographies de Juliette Gréco réalisées tout le long de la carrière de Juliette Gréco.

Irmeli Jung était la photographe attitrée de Juliette Gréco mais aussi une grande amie, une proche, une de celle qui attendrissait Juliette et la portait vers les esclaffes de rires et la connivence. Elle connut La Gréco, Juliette mais aussi Jujube, et ce, sur scène et dans les coulisses, au café, à Ramatuelle où Irmeli lui rendait souvent visite jusqu’à son décès.

Sur ces photographies, Juliette Gréco pose, se montre comme le font les icônes, avec une grâce intemporelle et une beauté indubitable.

IRMELI JUNG, « L’ART DU PORTRAIT-TENDRESSE » par Josyane Savigneau, journaliste

Juliette Greco photo © Irmeli JungDans cette époque où la violence des rapports humains est présentée comme une vertu, où la courtoisie devient une pratique incongrue, Irmeli Jung a choisi une voie difficile, celle d’une portraitiste volontiers austère, sobre, qui souhaite donner aux gens une image d’eux-mêmes qui ne les mette pas mal à l’aise. A ceux qui lui reprochent sa volonté de « tirages doux », qui lui voudraient un regard décapant, révélant et exacerbant les défauts d’une personnalité, elle oppose une tranquille réserve, avouant un goût certain pour la nostalgie, voire une forme de mélancolie. Elle ne comprend pas pourquoi il faudrait ajouter à la dureté du monde.

C’est ce désir de bienveillance, cet art du « portrait-tendresse », qui lui ont permis de saisir un instant et de malice dans l’oeil bleu de Marguerite Yourcenar, de capter la douceur derrière le regard farouche de Juliette Gréco, de nous offrir le souvenir d’un John Gielgud désarmant, d’attraper James Baldwin au moment où il fait de son visage un masque prêt à être arraché.

Et même de faire sourire Cioran qui s’est longuement laissé photographier par Irmeli Jung. « Nous nous comprenions » dit-elle. « Tous les exilés ont entre eux cette imperceptible solidarité ».

Biographie

Née en 1947 à Tampere, en Finlande

1960 : à 13 ans, elle découvre la photographie au photo-club de son école, réalise des « portraits » d’insectes et de fleurs, et apprend à développer les films et à réaliser ses tirages.

1965 : installation à Hanovre, en Allemagne. Apprentissage auprès de Kurt Julius, photographe du théâtre et de l’opéra de Hanovre.

1968 : diplômée de photographe de la Chambre des métiers de Hanovre avec un premier prix de portraitiste2, et employée dans une agence de publicité.

Janvier 1968 : Irmeli Jung séjourne à Paris, une amie l’invite à assister à un récital de Juliette Gréco. 1969 : accréditation par Juliette Gréco pour son nouveau récital.

Départ d’Hanovre et installation à Paris pour réaliser un livre sur Gréco. Elle devient la photographe attitrée de Juliette Gréco

Puis, Irmeli Jung fait la connaissance de Michel Célie, le directeur des Disques Déesse et de Raoul de Godewarsvelde qui lui commande sa première photographie pour une pochette de disques. Collaboration pour des pochettes de disques avec Georges Moustaki, Mouloudji, Maurice Dulac, Barbara, Jacques Brel

1994 : professeur pour le portrait à l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles

2006 : Photographe du portrait officiel de la présidente de la République Finlandaise, Tarja Halonen

Irmeli Jung vit et travaille à Nice depuis 2010

GEORGES DUDOGNON a photographié Juliette Gréco et ses amis dont Anne-Marie Cazalis et Annabel Buffet dans sa chambre-ronde de La Louisiane, surnommée aujourd’hui « la 10 ».

Elle fut celle de Jean-Paul Sartre qui la lui laissa pour s’installer un étage plus haut, chambre 19, afin de se rapprocher de la chambre de Simone de Beauvoir.

Cette pièce ronde, rassurante, s’est ensuite prêtée à toutes les fantaisies et les amitiés : les amis de Juliette y passaient régulièrement y prendre un bain “chaud” (un luxe dans l’après-guerre !) dans la seule baignoire de l’Hôtel d’autres y garaient leur vélo. Georges Dudognon en fit l’espace de séances-photos : la jeune Juliette, celle de 1949, qui ne connaissait pas encore les flammes du succès, s’y dévoile pleine de liberté, avide d’indépendance.
Elle s’y amuse, y fait couler son bain, s’y maquille. La photographie mythique sur laquelle nous pouvons la voir placer un 33 tours dans un tourne disque alors qu’elle est allongée dans son lit s’unit à d’autres, moins connues certes mais tout autant porteuses de bonheur : chacune révèle une scène où Juliette Gréco se révèle sans apparats, modeste, le visage animé par son regard noir et profond, celui-là même qu’elle gardera toute sa vie et que la notoriété ne lui a pas dérobée.

L’OEIL DE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS par Thierry de Beaumont, beau-fils de Georges Dudognon

Envoyé un jour de 1949 en reportage à Saint-Germain-des-Prés, le photographe Georges Dudognon (1922-2001) découvre le monde trépidant, unique et enfin libre de Saint-Germain-des-Prés.
Il restera deux ans auprès des « rats des caves », photographiant jour et nuit pour témoigner de la vitalité créative de ces rebelles que la presse bien-pensante de l’époque traitait de « rats des caves. Cet ouvrier des chantiers navalde La Rochelle, évadé d’un camp de concentration, entré en clandestinité à la fin de la guerre, deviendra l’ami des acteurs de la scène agitée de l’époque : Juliette Gréco, Prévert, Claude Luter, Daniel Gélin et Boris Vian. Il fut le témoin
privilégié de l’arrivée des jazzmen américains et des stars hollywoodiennes les accompagnant, des cafés littéraires et des destinées fulgurantes de cette période unique où tout était possible, sauf de refaire la guerre. Il ne quittera le quartier que lorsque « les rats étaient devenus des requins », fuyant un quartier qui a rapidement fait de son énergie vitale un tourisme élitiste. Suivra une longue carrière de photographe dit « humaniste » à l’instar de Robert Doisneau, Izis, Édouard Boubat durant laquelle, photographiant des stars mais aussi des clochards et les pauvres défendus par son ami l’Abbé Pierre, il deviendra le miroir intransigeant des fameuses « Trente Glorieuses ». Thierry de Beaumont publiera chez Flammarion un livre rétrospectif de ses photographies « De Saint-Germain-des-Prés à Saint-Tropez » en 2013 accompagné de textes de Juliette Gréco.

Biographie Né en 1922 à La Rochelle, France.

Ouvrier dans les chantiers navals de La Rochelle jusqu’en 1939.

1940 : Arrestation, incarcération en camp de concentration, évasion, puis entrée dans la presse clandestine de Lyon sous une fausse identité.

1945 : Premiers reportages pour Samedi-soir, Paris Matin, Action, Combat, France-Dimanche...

1949 : Premières visites à Saint-Germain-des-Prés où il découvre à la fois « le Quartier » et la technique photographique, en autodidacte.

1947-55 : Publication de nombreux reportages dans la presse internationale sur Saint-Germain-des-Prés. Passage progressif à la photo couleur.

1960 : Partage son temps entre Paris et la Côte d’Azur, où il témoigne de la nouvelle vague naissante pour Elle, Jours de France, Paris Match et de nombreuses revues françaises et internationales. Parallèlement, il signe de nombreux sujets de société sur la misère sociale, la guerre, la reconstruction et les artistes des sixties (cinéma, littérature, mode...).

1968 : Déçu par les événements de mai 1968 et leur récupération par le pouvoir, il décide d’arrêter le reportage photographique et quitte Biot et la Côte d’Azur.

1972 : Fonde avec sa compagne Colette Save, le magazine « l’Atelier », consacré à l’artisanat contemporain.

1993 : Publie, avec les textes de Daniel Gélin, l’ouvrage « Comme on s’aimait à Saint-Germain-des-Prés » aux Éditions Bordas et fils, Prix « Saint-Germain-des-Prés » la même année.

1995 : Publie, avec Bernard Thomas (textes) « L’an Un de la Cinquième », auxÉditions Bordas et fils, ouvrage dans lequel il témoigne photographiquement des « Trente Glorieuses ».

1995-2000 : Premières expositions sur son oeuvre photographique.

2000 : Dernier reportage sur le rugby féminin dans Rugby Magazine...

JULIETTE GRECO : Naissance d’un mythe de la chanson française dans un hôtel, écrite “texte publié sur la page facebook de l’hôtel La Louisiane : www.facebook.com/HotelLaLouisiane”

C’est grâce à Sartre, assez bon musicien lui-même, que Juliette est devenue chanteuse. Au printemps 1949, celle qui est devenue l’égérie de Saint-Germain-des-Prés grâce à une photo dans le journal, dîne au restaurant La
Cloche d’or avec le philosophe : en l’accompagnant jusqu’à l’hôtel La Louisiane, il lui demande : « Alors, il paraît que vous allez chanter? », reprenant l’idée qu’on eu ses amis Anne-Marie Cazalis et Marc Doelnitz. “Non” dit
Gréco, confuse. Mais Sartre insiste et lui dit : « Je vais vous choisir vos chansons » et lui donne rendez-vous le lendemain.

La jeune Juliette, à peine 20 ans, ne peut dire non au père de l’Existentialisme, qui l’a fait venir dans sa chambre-bureau pour lui proposer une sélection de livres et de recueils de poèmes. Il lui demande de revenir en ayant fait le choix de ses textes préférés. Ce sera « L’Instant fatal » de Raymond Queneau, habitué des soirées à l’hôtel La Louisiane et des après-midi au café Le Flore ; et « L’Eternel Féminin » de Jules Laforgues (1860-1887), sur les conseils du « Castor », Simone de Beauvoir, la compagne du philosophe. Sartre y ajoute une chanson, « La Rue des Blancs-Manteaux », écrite pour sa pièce Huis-Clos.

Sartre sélectionne un poème de Raymond Queneau, écrit à la suite d’une rupture amoureuse dont le premier vers : « Si tu t’imagines » et qui s’intitule « C’est bien connu ».

Son intuition est parfaite, en y mélangeant féminité et ironie, le texte sera parfaitement incarnée par la chanteuse, que ni lui ni personne n’a jamais entendue chanter !

Photo : Juliette Greco (de dos) de retour dans sa Chambre 10 pour le film de Michel La Veaux “La Louisiane”.

Photo : Juliette Greco (de dos) de retour dans sa Chambre 10 pour le film de Michel La Veaux “La Louisiane”.

Puis, Sartre demande à Juliette quel est son musicien préféré, elle répond Joseph Kosma, le compositeur de la musique des « Feuilles mortes » de Jacques Prévert, qu’elle retrouve parfois le matin rue de Seine à l’heure du café.

Aussitôt, le philosophe demande au compositeur de recevoir celle qui allait devenir “La” Gréco.

Kosma met en musique le poème carpe diem de Queneau « Si tu t’imagines », bel hommage à à l’Ode à Cassandre, célèbre poème de Ronsard : « Mignonne, allons voir si la rose ». Raymond Queneau, poète rieur et surréaliste, ami de Breton et Leiris, l’introduisait ainsi : « Sur un t’aime de Ronsard, pouète françoué ».

La chanson incarne cette joie de vivre si forte chez Juliette et ses amis à la Libération. Avec ses vers de 5 syllabes, le 4ème va devenir célèbre :« Qu’ça va qu’ça va qu’ça » qu’il faut prononcer : Xa Va Xa Va Va.

Et ca va très bien : Juliette a maintenant trois chansons à son répertoire ! Elle y ajoutera vite « La Fourmi » de Robert Desnos, mise en musique de même par Joseph Kosma.

Documents prêtés par JULIE-ROSSINI AMOURLe public, intrigué par “celle qui chante Sartre”, s’est tout de suite pressé dans les cabarets où elle monte sur scène, d’abord “Au Boeuf sur le toit”, grâce à Marc Doelnitz, inséparable ami d’Anne-Marie et de Juliette, puis à la “Rose Rouge” tenu par Nikos Papatakis, lui aussi parfois à La Louisiane.

Et voilà que les journalistes baptisent Juliette “la chanteuse existentialiste” ! Si grand fut le succès de la chanson que Raymond Queneau en baptisa de son titre le recueil de ses poésies entre 1920 et 1951.

Autre fait unique dans ce parcours de chanteuse, avant de monter sur les grandes scènes françaises, Juliette partira à 25 ans en tournée au Brésil et au Etats-Unis en 1952 où elle connaîtra donc ses premiers succès. C’est en 1954 sur la scène de l’Olympia que la consécration aura lieu.

« Si tu t’imagines » fit aussi de Juliette Gréco un interprète que tous les auteurs aux textes exigeants solliciteront:

Queneau, Sartre, Pierre Desnos, Boris Vian, Henri Gougaud, Jean-Loup Dabadie, Jacques Brel, Georges Brassens, Pierre Seghers, Françoise Sagan, Guy Béart, Bertolt Brecht, Leo Ferré, Henri Bassis, Pierre Louki, Charles Trenet, Serge Gainsbourg, Pierre Mac Orlan, Jean-Max Rivière, Florence Véran & Charles Aznavour, Jacques Prévert, Jean Dréjac, Robert Nyel, Frédéric Botton, Maurice Fanon, Henri Gougaud, Jean-Baptiste Clément, Richard Cannavo, Allain Leprest & Jean Ferrat, Claude Lemesle, Étienne Roda-Gil & João Bosc et Julien Clerc, Christophe Miossec, Marie Nimier et Jean Rouault, Brigitte Fontaine, Areski, Benjamin Biolay et Gérard Manset mis en musique par Gérard Jouannest et François Rauber, Olivia Ruiz, Abd al Malik, Orly Chap, Marie Nimier, Thierry Illouz, Amélie Nothomb, François Morel, Antoine Sahler, Philippe Sollers, Gérard Duguet-Grasser, Jean-Claude Carrière ou encore
Aragon avec Bernard Lavilliers, Georges Coulonges, Maxime Le Forestier, Adrienne Pauly.

Juliette incarna ainsi parfaitement pendant 70 ans la « chanteuse rive gauche », la chanteuse à textes. Auteur titré pour son album écrit pour elle, Pierre Mac Orlan dira “Si vous entendez une voix qui est l’appel de l’ombre, c’est Gréco. Si les yeux clos, vous entendez la chanson de votre adolescence, c’est Gréco. C’est Juliette Gréco qui mène la chanson chez qui la lui réclame.”

Deux ans plus tard, celle qu’on appelait Toutoute durant son enfance reçoit en 1951 le Prix d’interprétation Édith-Piaf pour la chanson “Je hais les dimanches” sur des paroles de Charles Aznavour... et soixante ans plus tard, après, en 2007 une Victoire d’honneur pour sa carrière aux Victoires de la musique, en 2009, la Légion d’honneur la Médaille d’or de la Sacem, et pour finir en 2012, commandeure de la Légion d’honneur, la Grande et en 2016 Commandeure de l’ordre des Arts et des Lettres.

Juliette dira : “Ma raison de vivre, c’est chanter ! Chanter, c’est la totale, il y a le corps, l’instinct, la tête”.
Après son premier concert, Juliette racontera son retour à La Louisiane dans le cocon de la chambre numéro 10 si réconfortante avec son plafond rond et ses grandes fenêtres ouvertes sur la vie des rues de Seine et de Buci :

« Le soir de la première, j’apparais sur scène vêtue de l’incontournable ensemble pantalon et chandail noirs que je porte depuis la guerre. J’ai envie de disparaître tant la peur me tenaille.

La salle est comble, il manque des chaises. Le Tout-Paris est là, à mes pieds (nus) ! L’ambiance est chaleureuse et le public a la bienveillance de ne pas relever mes grandes maladresses de débutante.

La soirée finie, je rentre dans ma chambre d’hôtel, émue et troublée. Dans la salle de bains, je m’arrête instinctivement devant le miroir. Je n’aime pas me regarder, je ne me trouve pas jolie. Je ne le fais que pour souligner mes paupières d’un trait noir, dessiner ce que la presse appelle “des yeux de biches” …

Je me regarde sévèrement et dis, à voix haute : « Je fais le serment de mettre toute mon énergie au service de ce défi : je veux que Gréco soit fière de la petite Juliette. Ce pacte avec moi-même, je ne l’oublierai jamais. »

Sartre a donc inventé Gréco : « Gréco a des millions dans la gorge : des millions de poèmes qui ne sont pas encore écrits, dont on écrira quelques-uns.

On fait des pièces pour certains acteurs, pourquoi ne ferait-on pas des poèmes pour une voix ?

Elle donne des regrets aux prosateurs, des remords. Le travailleur de la plume qui trace sur le papier des signes ternes et noirs finit par oublier que les mots ont une beauté sensuelle. La voix de Gréco le leur rappelle. Douce lumière chaude, elle les frôle en allumant leurs feux.

C’est grâce à elle, et pour voir mes mots devenir pierres précieuses, que j’ai écrit des chansons.

Il est vrai qu’elle ne les chante pas, mais il suffit, pour avoir droit à ma gratitude et à celle de tous, qu’elle chante les chansons des autres. »

Jean-Paul Sartre a écrit ce texte pour Juliette avant son départ au Brésil en 1951 pour son premier grand voyage et sa première tournée. En vacances à Antibes où avec Bibi Vian, il avait retrouvé les deux éternelles amies qu’il avait logées comme lui à l’hôtel La Louisiane : Anne-Marie Cazalis et Juliette Greco. La bande de l’hôtel La Louisiane et tous leurs amis de Saint-Germain-des-Prés allaient donner naissance à un autre mythe en transformant un petit port de pèche nommé Saint-Tropez en l’un des lieux de fêtes les plus célèbres de la planète, mais ceci est une autre histoire...

Si tu t’imagines

Si tu t’imagines, fillette fillette

Si tu t’imagines

Qu’ça va qu’ça va qu’ça

Va durer toujours

La saison des a

La saison des a

Saison des amours

Ce que tu te goures fillette fillette

Ce que tu te goures

Si tu crois petite

Si tu crois hum hum

Que ton teint de rose

Ta taille de guêpe

Tes mignons biceps

Tes ongles d’émail

Ta cuisse de nymphe

Et ton pied léger

Si tu crois qu’ça va

Qu’ça va qu’ça va qu’ça

Va durer toujours

Ce que tu te goures fillette fillette

Ce que tu te goures

Les beaux jours s’en vont

Les beaux jours de fête

Soleils et planètes

Tournent tous en rond

Mais toi ma petite

Tu marches tout droit

Vers c’que tu n’vois pas

Très sournois s’approchent

La ride véloce

La pesante graisse

Le menton triplé

Le muscle avachi

Allons cueille cueille les roses, les roses

Roses de la vie

Roses de la vie

Et que leurs pétales

Soient la mer étale

De tous les bonheurs

De tous les bonheurs

Allons cueille cueille

Si tu le fais pas

Ce que tu te goures fillette fillette

Ce que tu te goures

(Raymond Queneau, 1947)

Patrick Reynolds remercie chaleureusement Charlotte Saliou ( email: charlotte(at)hotellalouisiane.com ) pour la qualité de son dossier de presse
 

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