Le rôle de François 1er comme protecteur des artistes étrangers et roi bâtisseur est spectaculaire, on peut dire qu’il a été un des premiers découvreurs de talents lorsque, après Marignan, il ramène d'Italie Léonard de Vinci dont il conservera, après sa mort, la Joconde œuvre incontestée de nos jours représentative de la notion de Chef d’œuvre. François 1er manifesta une véritable affection pour le vieil homme qu'il appelait « mon père » et qu'il installa au Clos Lucé, à portée du château royal d'Amboise. Vinci resta en France jusqu'à sa mort, dans les bras du roi selon la légende.
Le chef-d'œuvre était anciennement la preuve de l'excellence que devait présenter l'artisan pour être promu à la maîtrise dans sa corporation. Le terme a pris une nouvelle signification depuis la fin du XVIII ème siècle, période marquée par la formation d'un nombre croissant de musées, dont celle du musée du Louvre en 1793. L'élection de certaines œuvres jugées, selon des critères propres à chaque société, au-dessus des autres reflète l'évolution du goût. Mais la permanence dans l'estime et la fascination qu'exercent certains chefs-d'œuvre peuvent donner à penser que ceux-ci se situent au-delà des fluctuations du goût, à un niveau complexe de rapports entre le spectateur et l'œuvre, de façon, semble-t-il, objective.
LA NOTION DE CHEF D’ŒUVRE DE NOS JOURS
De nos jours cette question est une des interrogations fondamentales que tout collectionneur se pose à un moment dans l’élaboration de sa collection : comment détecter chez les artistes contemporains un chef d’œuvre en dehors de toute considération financière. En effet la valeur financière d’une œuvre, son aura médiatique fabriquée par les grands collectionneurs associés aux Grandes Maisons de Ventes aux Enchères et aux médias influencent considérablement le jugement d’une époque sur la reconnaissance d’un artiste dont la valeur marchande n’est pas liée à la qualité intrinsèque de l’œuvre, mais à tout le tissu de communication savamment orchestrée comme une marque, avec cependant une différence : les grandes marques, par exemple Louis Vuitton ou Hermès sont basées d’abord sur une haute qualité, alors que dans l’art la notion de qualité peut être absente de la création.
Car la notion de chef d’œuvre n’est pas liée à la valeur financière, en effet le monde de l’art est éminemment suiveur et ne s’intéresse qu’aux artistes lorsque la valeur financière flambe ou lorsque les Musées ont pris le relais des collectionneurs en institutionnalisant l’œuvre: Chagall disait de son vivant au cours d’une interview « lorsque mes aquarelles valaient 300 francs personne n’en voulait et maintenant qu’elle valent 300.000 francs tout le monde veut les acheter. On pourrait encore citer l’exemple de Van Gogh oublié de son vivant et qui atteint des sommets de nos jours.
Il semblerait que la notion de chef d’œuvre soit liée au développement des musées d’art moderne au XXème, où l’artiste qui expose dans ces Musées prend la dimension de l’institution et entre dans l’histoire de l’art. François Pinault l’a bien compris en finançant en tant que mécène l’exposition de Jeff Koons à Versailles plaçant l’artiste ainsi « choisi » non plus au niveau des collectionneurs mais au centre d’une reconnaissance d’Etat. Dans la mesure où cela permet à un grand nombre de gens de se familiariser avec l’art contemporain on ne peut que se louer de cette initiative qui a au moins l’intérêt de faire réfléchir les visiteurs sur cette forme particulière d’art.
Pour le collectionneur, le graal, et la thématique de la quête qui lui est associée ont donné lieu à de nombreuses interprétations symboliques ou ésotériques. Il est le fondement de la recherche du collectionneur confronté à l’immense plaisir de la découverte et de l’ouverture d’une nouvelle porte par l’artiste de talent objet de cette quête.
Pour illustrer notre propos
Armand Drouant un des plus grand marchands de tableaux associé à une époque avec Emmanuel David que j’ai très bien connu publiait en 1960 aux Editions Pierre Cailler de Genève un livre Traité de la Peinture dans lequel il a établi une méthode test pour évaluer la valeur artistique d’un tableau et vous permettre ainsi de détecter le chef d’œuvre qui doit répondre à certains critères :
1-Sincérité de l'émotion 2-Personnalité dans le concept (style) 3-Personnalité dans l'exécution (facture) 4-Couleur Intensité colorée 5-Couleur Distinction des tons (harmonie) 6-Couleur Diversité des tons (modulations) 7-Sonorité 8-Composition graphique (rythme, arabesque) 9-Composition des volumes (équilibre plastique des masses, le monumental) 10-Composition lumineuse 11-Dessin Correction (prix de consolation à défaut..) et Intelligence du dessin 12-Le rêve, la poésie 13-Qualités décoratives 14-Valeurs (synthèse des tons, contrastes rapports tons chauds/tons froids) 15-Simplicité 16-Sensibilité 17-Le sujet, le motif 18-La matière 19-La perspective picturale 20- Le coefficient de sympathie
Le chef d’œuvre au XXIème siècle sera caractérisé par la force de l’idée et du concept véhiculé à travers l’œuvre et sa réalisation qui peut prendre des formes figuratives ou abstraites, voire même numériques, musicales et cinématographiques ou immatérielles (par exemple Yves Klein Vente de Zones de sensibilité picturale immatérielle à partir d'un chéquier, contre paiement en petits lingots d'or jetés ensuite dans la Seine en 1959).
Le propre de l’œuvre d’art et de la création artistique n’est-il pas d’être par essence conceptuel , transcendental et immortel? Le chef-d’œuvre paré autrefois du statut d’immortel ou d’œuvre capitale pour l'histoire de l'art, doit incarner le goût d’une époque, d’une société et de ses valeurs. Mais qui juge, qui classe ? « Tous ceux qui profitent de l’art, mais qui ne font pas l’art ! » nous réponds l’artiste Thomas Hirschhorn .
Ainsi se poser cette question aujourd’hui n’est pas innocent. À l’heure où l’œuvre au sens traditionnel du terme semble avoir cédé sa place à l’expérience artistique, à l’heure de l’art « à l’état gazeux, dématérialisé, conceptuel » comme certains le qualifient, on est en droit de se demander si cette notion a encore un sens.
Selon que l’on s’adresse à l’artiste ou au directeur de musée, au galeriste, au philosophe ou au psychanalyste on suscite autant de réponses différentes.
Pourquoi, de nos jours, ce concept de « chef-d’œuvre » est-il si difficile à définir, à cerner, à évaluer ? Peut-être parce qu’il n’a cessé, au cours des siècles, de se parer de significations nouvelles et d’être remis en cause. Quand il n’a pas été méprisé voire violemment attaqué, parfois d’ailleurs par l’artiste lui-même. Le chef-d’œuvre des Compagnons dont Françoise Forgerit nous parlait ci-dessus, avec son caractère artisanal et corporatiste, est bien loin du chef-d’œuvre présenté dans les Musées Modernes et devant lesquels, à grand renfort de communication, le spectateur est invité à s’incliner, au prix parfois de plusieurs heures de queue.
Le concept de chef d’œuvre, remis en question et méprisé parfois par les artistes eux-mêmes est difficile à définir et à évaluer objectivement. La médiatisation des grands Musées qui louent parfois leurs cimaises à des grands collectionneurs créent une nouvelle valorisation médiatique des artistes. La financiarisation du marché de l’art avec la naissance de artprice nouvelle bible des amateurs d’art, qui a créé des courbes sur les ventes des artistes exactement comme les courbes des sociétés cotées en bourse renforcent cette nouvelle approche de l’œuvre d’art. Les amateurs d’art regardent-ils plus les courbes ou les œuvres. La financiarisation de l’art est-elle la fin de l’art ? La réponse est non : car il existe une catégorie de vrais collectionneurs qui recherchent avant tout la qualité, l’innovation, l’écriture authentique, l’engagement intellectuel et la personnalité qui font les élément de jugement qui permettent de détecter les grands artistes.
Le grand artiste est celui qui a un besoin imminent de création : créer tous les jours est son ballon d’oxygène, sa raison de vivre, son plaisir.
Internet et la notion de partage de l’information qui met à la portée de tous les visites virtuelles de Musée (voir google musées) va-t-il remplacer la notion de possession de l’art par la notion de jouissance virtuelle. La maison d’hier était fabriquée avec des pierres assemblées, la maison de demain sera fabriquée avec des imprimantes géantes (.association française Constructions 3D) ces maisons seront remplies d’écrans plats ultra légers connectés à tous les grands musées du monde qui se constitueront des collections et assureront la distribution mondiale par internet ou DVD. Ces écrans plats ne remplaceront jamais le contact charnel avec l’œuvre d’art qui nous transmet les ondes et les fluides du créateur : l’art a de beaux jours devant lui.
En effet des milliers de Musées voient le jour dans le monde, chacun d’entre eux doit disposer d’un minimum de 150 œuvres majeures et de plus de 3000 œuvres secondaires, ce qui va créer un appel d’air à la création mondiale.
A vous de découvrir les créateurs de demain et d’acheter leurs chef d’oeuvres avant que le marché ne s’empare d’eux et les propulsent au firmament des cotations.
Patrick Reynolds
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