Marie L, « Porte 8 », editions United Dead Artists, Paris, non paginé, 2012
S'inscrivant dans un travail long de 20 années et constitué d'images (autoportraits, « autocorps ») et d'écrits intimes, « Porte 8 » marque un moment important de l’œuvre d’une artiste qui à la médiatisation nominale préfère l’anonymat. L’ensemble du livre est constitué de 11 séries. Chacune est prise en quelques minutes, presque « à la sauvette ». Le « studio photos » est le local poubelles de l’immeuble où vit l’artiste.
Un rituel présidait pour ces séances. Marie L devait vraiment faire très vite afin de ne pas être surprise nue et chaussée de hauts talons. D'étranges perspectives s'installent puisque l’artiste est seule. Surgit une tension évidente dans ces autoportraits : l’artiste travaillait avec un tout petit appareil : d'où la « mauvaise » définition. Travaillant sans pied l’artiste posait l'appareil sur le sol ou sur le couvercle d’une poubelle en ce qui ressemblait à de mini-performances.
Les premières photos étaient destinées à un amant qui vivait à New-York. Il s'agissait d'une forme de correspondance en images qui très vite est devenue un "travail". Le livre qui en résulte s’ouvre comme un film. Un générique égraine des didascalies bilingues (français-anglais » :Rue G, Paris 15ème, local poubelle, 182 autoportraits, juin 2008-décembte 2009, 11 séances, 3 à 5 minutes, escarpins – 8 paires, positions debout, accroupie, couchée, état du sol variable, température de 3 à 25 degrés, humidités absolue. Suit au bout de linéaire : « solitudes » et le destinataire : « un homme parmi tant d’autres » (il sera précisé plus clairement dans le générique de fin). |
Constitué (vois ci dessus) de 182 portraits de nu, ceux-ci prennent à revers ce qu’on entend généralement par ce terme. Certes Marie L est nue. Pour autant l’exhibition trouve une valeur très particulière. Dans l'exercice d'une beauté sans affèterie au sein d’une sorte d’abjection du lieu, plus que la nudité du corps ce sont les plis de l’âme qui sont mis à nu sans que le secret soit pour autant éventré.
De telles photographies sont raccords avec l’héritage de toute l’histoire de l’art occidental mais aussi extrême oriental. La préoccupation du « tableau » comme aire de contemplation et de méditation demeure centrale. Refusant toute instrumentation idéologique, l’artiste pousse ses travaux dans une recherche esthétique moins de la chair que de la quête de l’intime partiellement marqué d’un certain naturalisme. Sans souci de psychologisation de l’art, les photographies - où domine le sombre - ne prétendent pas dévoiler le marbre de l’identité. Avec des angles de prises souvent inattendus (même si certains portraits rappellent une vision que ne renieraient pas les portraitistes flamands ou français du XVIIIème siècle) la photographe inscrit une revanche de la chair dans un univers épuré où seul le corps de la femme a quelque chose à dire et à montrer. Les photographies semblent aussi léchées que simples. Pourtant rien de plus complexe que cette apparente simplicité d'où émane une charge poétique rare. . |
La femme est « prise » avec une certaine froideur jusque dans l’intimité la plus sensuelle. Demeure aussi une gravité cérémonielle. L’épure sert la recherche de formes majeures qui s’offrent paradoxalement dans un certain jeu de cache-cache. Mais il ne s’agit plus de prendre par défaut la femme. Par ses autoportraits elle écarte tout pensum libidinal afin de préserver l’essence même de la quête : une proximité qui fait paradoxalement le jeu de l’éloignement (pas question pour le spectateur de ce rincer l’œil dans le bain de révélation). Chaque cliché crée un espace de silence et de solitude. Marie L a éliminé tout élément anecdotique pour la pure contemplation d’une beauté étrange quasi mortifère. Au prix d’une ascèse érotique l’artiste rameute la précarité de la vie par un charme étrange qui n’a rien de « déjà vu ». Par l’arrêt de mort que crée la capture d'un moment donné et que le déclic fige, tout est marqué par l’intensité, la tension et la concentration. Le regard s’enfonce vers la femme. Vient plutôt s’y échouer loin de tout fantasme. Nue, Marie L conserve ses secrets dans le jeu des ombres et d’un peu de lumière. L'intimité révélée/cachée possède une dimension universelle. En surgit une émotion « avènementielle ». Marie L ne fait ni dans le porno, ni dans l'érotisme. Elle cherche une vérité plastique du corps qui n’est plus liée à la « viande » dont parle Artaud. Chaque photographie semble une approche, une attente. Nous entrons dans le monde muet de l’injonction où la trace devient énergie sourdement incorporée par la puissance du regard. Et s’il y a dévoilement d’un voile ce n’est pas celui qu’on croit. C’est pourquoi un tel travail a tant à dire et surtout à montrer. Jean-Paul Gavard-Perret |
BIOGRAPHIE DE SOPHIE MARIEL |
PORTE 8 rue G. – Paris, 15ème arrondissement local poubelle 182 autoportraits juin 2008 – décembre 2009 11 séances – 3 à 5 minutes escarpins – 8 paires positions – debout accroupie couchée état du sol – variable température – 3 à 25° humidité – absolue solitudes correspondance en images destinataire – un homme parmi tant d’autre Marie L., écrivain photographe vidéaste, née en 1968, interroge un parcours personnel en pensant le corps autrement qu’en fonction des codes imposés par une société dite « moderne ». Exploration des limites, déchiffrement d’un monde de l’intime où les mots et les images ne sont plus que des ponts suspendus entre la vie et la mort. Littérature
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