Photographie de Nath Sakura |
Née en novembre 1973 près de Barcelone (Espagne), Nath-Sakura est devenue photographe « car elle ne savait pas peindre » explique-t-elle au magazine de référence catalan Art Nou. Née de parents inconnus et confiée à un orphelinat, Nath-Sakura, devient d’abord docteur en philosophie politique avant de se tourner vers une carrière de journaliste professionnelle et de changer de sexe. C’est de ce passage entre les genres que traite principalement son oeuvre, qui raconte en filigrane la « sauvagerie métaphysique » de cette renaissance. Installée dans le Midi de la France, près de Montpellier, elle collabore en tant que photo-reporter avec un grand nombre de journaux et d’hebdomadaires généralistes.
Photographie de Nath Sakura |
Oeuvre
La démarche artistique de l'artiste franco-espagnole est caractérisée par trois éléments essentiels. La question de l’identité, notamment de l’identité sexuelle, intimement liée à une réflexion sur le regard, vis-à-vis d’autrui et de soi-même et à la question des passages. La construction en deux plans des images, où les ombres jouent un rôle décisif puisqu’elles donnent sens à l’image elle-même (comme dans la photographie intitulée Transition secrète, où l’ombre d’une paire de ciseaux explique les mains crispées du modèle sur son bas ventre). Et les thématiques fétichistes enfin, qui décontextualisent les situations en les plaçant dans un univers qui ne peut pas être, par essence, celui du spectateur.
Photographie de Nath Sakura |
L’œuvre de Nath-Sakura ne commence à prendre toute sa dimension qu’à partir de septembre 2004, date à laquelle elle entame son changement de sexe. Forte de ce choix radical, la démarche de Nath-Sakura est particulièrement originale et contemporaine. L’œuvre de l’artiste franco-catalane s’inscrit comme un sévère démenti à « l’art charnel » d’Orlan, qui a transformé son corps pour y inscrire son interrogation sur l’art. Nath-Sakura, au contraire, utilise cette métamorphose (chirurgicale et physiologique), pour étudier le changement graduel de son regard d’artiste. Ainsi, ce n’est pas tant son œuvre photographique qui est importante, que les métamorphoses que son travail a subi au fur et à mesure de ses opérations chirurgicales, de son parcours de réassignation de genre, et de son changement hormonal.
Photographie de Nath Sakura |
On notera ainsi de sévères transformations dans les colorimétries, les thèmes abordés et leur mise en scène, les techniques utilisées, au fur et à mesure des changements hormonaux de la jeune femme. L’artiste note ainsi, depuis ses débuts, ses indices de testostérone libre puis de progestérone dans le sang, sur chacune de ses photographies, servant ainsi de vivante expérience sur le regard et les genres sexuels.
Photographie de Nath Sakura |
Expositions
2004 – Musée d’art contemporain de Barcelone (Macba). Biennale d’Art Contemporain de Prague II, République Tchèque. Reportage à Gaza, Palestine occupée, sur les enfants des couples mixtes (Israëliens/Palestiniens).
2005 – Exposition « L’art en prison », Villeneuve-lès-Maguelone. Exposition au squat Saint-Sulpice, Montpellier. Lauréate du prix de photo-journalisme du festival international de Melbourne, Australie.
2006 – Recueil photographique « Pouvoirs » (Map editeur). Exposition à la guinguette du Chaos, Paris. Galerie Albertini, Dijon. Exposition et artiste associée Fondation Bertold, Lugano, Suisse. Galerie Què Pasa, Vigo, Espagne. Galerie W&V, Berlin, Allemagne.
Photographie de Nath Sakura |
2007 – Recueil photographique « Dualités » (LDP éditeur). Tarot d’Eve et Tarot de Lilith, Exposés à Alet-les-Bains et Marseille. Exposition Vauban, Musée national de la marine, Toulon. Exposition Musée Balaguier – La Seyne-sur-Mer. Arte Lisboa, Lisbonne, Portugal.
2008 – Exposition « Contradictoire », au Divan du Monde, Paris. Recueil photographique « Pervy Obsessions » (Ragage éditeur). Exposition Tate galery, Liverpool, Royaume-Uni. Centro Cultural De La Villa, Madrid, Espagne. Exposition Restaurant Sketch, Londres, Royaume-Uni. Exposition au Centro Cultural De La Villa, Plaza de Colón, Madrid
Photographie de Nath Sakura |
2009 – Recueil photographique et illustrations « Une femme, deux hommes, trois regards » (Ragage éditeur). Intervenante aux assises du corps transformé, faculté de droit de Montpellier. Exposition « Pour en finir une bonne fois pour toute avec la photographie », galerie Chez moi, chez toi, Nîmes.
2010 – Exposition « Everything Lust go », galerie Backstage, Marseille
2011 – Exposition « Ergo sum », galerie la Vitrine, Arles, France. Exposition « Idole(s) », Museaav, Nice (France).
Photographie de Nath Sakura |
Bibliographie
Pouvoirs, Map éditions, 2005
Dualités, LP, 2006
Vauban à Toulon, l’arsenal et la rade, Musée national de la marine (ISBN : 978-2-35464-006-4), 2007
Pervy Obsessions, Thomas Ragage éditeur (ISBN : 2-915460-54-4), 2008
1 femme, 2 hommes, 3 regards, Thomas Ragage éditeur (ISBN : 978-2-915460-79-7), 2009
Nath-Sakura, fine art photographer
Nath Sakura Portrait |
Official : http://www.fetish-photo.net/
Blog : http://www.nath-sakura.fr/
About : http://fr.wikipedia.org/wiki/Nath-Sakura
LES SANGLOTS ARDENTS DE NATH SAKURA par Jean-Paul Gavard-Perret
Nath Sakura sait que l'oeuvre n'est que le résultat d'un travail. C'est pourquoi, renonçant à la peinture pour laquelle elle ne se sentait pas prête, l'artiste est devenue photographe. L'érotisme de son travail s'élève contre tout effet de simplification. Certes il n'existe pas de coercition dans ses monstrations. Pour autant tout n'est pas donné à voir.
La Barcelonaise rapproche son travail d'un certain art nippon à la fois dans sa contextualisation que dans son raffinement. Le désir "enfermé" n'en devient que plus cuisant tant pas les poses, les couleurs et les mises en scène. Le (relatif) peu de nudité offerte crée une autre "étendue". L'œil s'éprend du corps de la femme qui devient à la fois rosier, seringa, palmier, hortensias, plantes d'été. Mais le regard n’en vient pas à bout. Les arrangements instaurés par Nath Sakura font de chaque création photographique un volontaire inaccomplissement, un contre-chant par l'intensité voulue mais retenue et le rythme des formes afin de créer des variations. Elles participent au monde rêvé.
Mais rêver n’est pas jouer. Le corps qui emporte le regard n’est plus celui de la béatitude exaltante. Un rien « bariolé » le corps féminin apprend à se méfier de sa propre séduction. C’est plus par une vue de l’esprit que par la simple perception que l’artiste le suggère. Le « réalisme » ou plutôt la figuration rapproche inconsciemment d’un souffle de l’origine, de la « nuit sexuelle » qui tente, tant que faire se peut, de se respirer ailleurs que par ce qui est suggéré.
Comme le rien nous échappons donc au corps tout en n'étant rien sans lui. Il est notre rien d’autre. Il reste notre insondable priorité d’origine même s’il reste un ailleurs exotique ou d’exil. Son impossible approche atteste l’absolu du rien. Mais en même temps il le nie. Et c’est bien là toute la force des photographies de Nath Sakura. Elles deviennent à ce titre et parfaitement « Les sanglots ardents » dont parlait Baudelaire.
Un lien existe entre le sujet vu et celui qui le regarde. Mais cette connexion ne se prête à une lecture immédiate. La photographe ménage des errements ou des « oublis », des intransigeances ou des omissions. Le corps photographié est sans doute désirable néanmoins aucune offensive n’est possible face à lui. C’est d’ailleurs ce dont Barthes rêvait pour la photographie érotique. En elle et selon lui le désir a nécessairement un objet mais il convient à un artiste de ne pas en faire un objet.
Cela n’est pas simple. Toutefois Nath Sakura réussit à trouver une sidération insécable de la désideration. Il en va ainsi du désir de l'œuvre que le désir ouvre en son travail. Il n'en signifie par l'arrête mais l'ouverture de l'ouverture : nudité offerte, étendue non consommée où l'histoire apparaît, ressuscite une nouvelle mémoire. Si bien qu’on se demande s’il ne faut pas chercher l’ombre du miroir sous la photographie…
Celle-ci abrite un vide dont l’écho la suit. La photographie devient le miroir brisé du simulacre. Elle est la vision remisée et l’aveu contrarié. C’est pourquoi on recouvre parfois les miroirs comme l’artiste voile les corps : afin que le temps ne glisse plus dessus, qu’il se retienne comme un désir. Plus besoin de tourner le dos : comme un fantôme lui-même gagne sa fuite.
Jean-Paul Gavard-Perret