L’exposition numérique : Initiative pédagogique ou grand Barnum? Par Martine Manfré Itzinger

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L’exposition numérique : Initiative pédagogique ou grand Barnum? Par Martine Manfré Itzinger Que penser des images numériques qui se multiplient et se substituent aux œuvres  d’art originales? Expositions immersives, œuvres  générées par ordinateur, écrans interactifs, artistes numériques et NFT laissent à penser que produire ou admirer une peinture ou une sculpture ne suffit plus. Il faut à tout prix aujourd’hui que la prise de contact avec l’art soit ludique et numérique. L’émotion face à l’œuvre  n’est plus une priorité semble-t-il et les lieux d’exposition sont devenus à mon sens des lieux de consommation plus que des lieux de connaissance, de flânerie et de rêverie.

Nous voyons fleurir aux quatre coins du pays, et même du monde, des projections spectaculaires d’œuvres  d’art qu’il n’est plus besoin de découvrir ‘’de visu’' pour les apprécier. L’idée est plaisante mais est-elle suffisante? Entrer dans une salle où sont projetées des images géantes qui se répondent, se superposent, se croisent et se mélangent sur des écrans à 360 degrés et à grande vitesse semble désormais ce qui se fait de mieux en matière de diffusion de l’art auprès du public.

Il n’est plus au gout du jour de prendre son temps devant une œuvre, de prendre du recul pour en savourer la vue d’ensemble ou, au contraire, de s’en approcher le plusL’exposition numérique : Initiative pédagogique ou grand Barnum? Par Martine Manfré Itzinger  possible pour en percevoir chaque détail au risque de déclencher une alarme et les foudres d’un gardien scrupuleux.

Voir l’œuvre ’’en vrai’’ n’est pas nécessaire pour en apprécier la beauté me direz-vous. C’est vrai! Et, de ma propre expérience, j’acquiesce. Je me remémore le plaisir de mon enfance à feuilleter un livre de peinture aux mauvaises reproductions qui pourtant m’ont tant impressionnées . Mais ces reproductions, si elles ont déclenché mon intérêt pour l’art, n’ont pas remplacé l’œuvre  d’art et l’émotion que celle-ci a provoqué  lorsque, enfin, je me suis retrouvée face à elle. Si l’image, sur papier glacé ou sur écran, nous donne une idée de ce qu’est l’œuvre, seule la vision directe peut révéler les effet  vibratiles de la matière, sa profondeur ou sa transparence, le geste de l’artiste avec sa vigueur, son intensité ou sa légèreté. Le tableau, au-delà de la représentation, nous laisse ‘’entrer’’ dans la peinture et pas seulement dans le sujet. Il n’est pas seulement une surface plane mais une surface vivante qui nous laisse pénétrer un sujet mais aussi l’âme de l’artiste.

Et qu’en est-il de la promenade dans le musée, ce lieu où l’on vient pour voir un artiste ou une œuvre  et où l’on en L’exposition numérique : Initiative pédagogique ou grand Barnum? Par Martine Manfré Itzinger découvre des milliers au gré de nos déambulations. Aucun logiciel ne saurait remplacer le plaisir de se perdre dans les couloirs labyrinthiques du Louvre ou des Offices. Errer d’une salle à l’autre, d’une époque à une autre, d’un genre, d’un style, d’un artiste, d’une ambiance différents à chaque pas. Au fil des déambulations on regarde, on voit, on connait, on reconnaît mais aussi on découvre, on redécouvre puis on cherche, on trouve, on apprend, on oublie, on aime, on déteste et même, parfois, on se surprend à aimer ce que l’on détestait. L’œil  s’exerce, s’habitue et le cerveau, au début plutôt en éveil, lâche prise et s’adonne à la rêverie. Le temps ne compte plus et l’on profite d’un moment de pur délice.

Le LouvreContempler une œuvre  réelle c’est pénétrer un univers et c’est oublier le temps. Celui auquel on appartient autant que celui qui passe et la contemplation, qu’elle dure une minute ou une heure importe peu, nous immerge dans un monde différent et fait de nous le maîtres de notre temps.
Certes les expositions immersives nous transportent elles aussi mais, et c’est l’un de leurs défauts, seulement le temps d’une séance dont la durée est définie, à l’avance et par d’autres. Les images des œuvres sont projetées à grande vitesse et font perdre la tête mais les minutes sont comptées et nous ne maîtrisons rien. Logiciels et concepteurs ont décidé de ce qui était bon pour nous. Nous n’avons plus qu’a nous laisser porter par les images numériques de peintures de grands maîtres qui défilent au son de musiques grandioses. On en prend plein les yeux mais le bonheur est éphémère et l’on est plus éblouis par le spectacle ‘’son et lumière’’ que par l’œuvre  d’art à l’origine de la projection. De là à en conclure que nous savons désormais tout ce qu’il faut savoir sur un artiste ou sur une œuvre , il n’y a qu’un pas. On peut espérer qu’une telle approche aiguisera la curiosité du spectateur pour aller plus loin. Aller voir l’œuvre , la regarder avec attention et plaisir serait atteindre l’objectif prétendument visé mais est-ce vraiment le cas?

Alors oui! L’œuvre d’art véhiculée par son image a du bon. Elle peut constituer une première approche non négligeable pour tous ceux qui en sont éloignés, que cet éloignement soit culturel ou physique et les qualités pédagogiques du concept et de l’utilisation des nouvelles technologies visuelles sont indéniables. Mais, bien que présentées comme source de connaissance et première approche pour le grand public, leur usage en est, me semble-t-il, quelque peu détourné.

Dans tous les domaines, la tendance actuelle n’est plus au présentiel et, en terme d’économie, cette tendance n’est pas négligeable. Nous savons que monter une exposition nécessite des moyens colossaux que toutes les institutions ne peuvent pas ou plus assumer désormais. Concevoir une manifestation, déplacer les œuvres , les assurer, les restaurer préparer la communication, l’accès du public… Tout cela à un cout et il faut admettre que celui-ci se trouve considérablement réduit ( et l’on peut également avancer le cout écologique du déplacement des œuvres ) par une exposition immersive qui nécessite seulement quelques objets qui, pour la plupart appartiennent au fonds de l’institution à l’origine du projet.

L’exposition numérique : Initiative pédagogique ou grand Barnum? Par Martine Manfré Itzinger De même, les expositions digitales, telles que celles de Pompeï, La Joconde, Van Gogh ou Venise sont couteuses à leur conception mais vite rentabilisées car généralement itinérantes et nécessitant peu de moyens d’exploitation une fois le projet numérique réalisé.

Le digital peut donc rendre l’inaccessible accessible à tous. C’est un argument louable mais est-il réel pour autant? En effet, si l’on prend en considération les prix d’entrée des manifestations incluant du numérique et celui inhérents aux expositions digitales, on constate que les prix d’entrée sont largement supérieurs aux prix pratiqués pour une proposition non numérique. Pour les premières le droit d’entrée est largement majoré par rapport aux tarifs pratiqués habituellement et nécessite de surcroit une réservation préalable par internet qui se révèle souvent payante et les secondes pratiquent d’emblée des tarifs prohibitifs qui ne me semblent pas propices à toucher tous les publics. Nous déplorons que l’art numérique se déploie de nos jours comme un moment de grand spectacle, de compilation commerciale aux objectifs économiques définis en terme de rentabilité, sous couvert, et ce de manière fallacieuse, d’offrir à tous un accès à la culture.

Le numérique aurait pu être un ‘’plus‘’ au service des œuvres  d’art mais l’usage qu’on en fait nous semble discutable et, quelle que soit notre opinion sur la question, l’image numérique demeure une image qui montre l’œuvre d’art et en aucun cas ne doit être le substitut de l’œuvre  elle-même.

Martine Manfré Itzinger

 

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Patrick Reynolds
 

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