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En 1889, il se rend à Paris avec V. Stassov, critique d’art et soutien pour son travail, puis va à Londres, Zurich et Munich. Il expose en 1891 à l’Académie des Beaux-Arts, devient professeur d’atelier à l’Académie en 1894 et ouvre une école d’art privée à Saint-Pétersbourg. En 1897, il est nommé pour un an recteur de l’Ecole Supérieure des Arts. Sa carrière officielle semble toute tracée. Pourtant il ne va pas hésiter à prendre des chemins de traverse, en partageant les idées progressistes des intellectuels russes tant du point de vue du progrès social que de celui du bouleversement artistique. C’est ainsi qu’en 1899 il s’installe dans la campagne de Kuokkala, non loin de Saint-Pétersbourg, pour être plus près du monde rural. Il devient membre de la rédaction de Mir Iskousstva (le Monde de l’Art), et reçoit toute l’intelligentsia et ses élèves de Saint-Pétersbourg. Il passe les 30 dernières années de sa vie dans sa propriété des Pénates. Là, il continue de travailler, bien que moins intensément, qu’avant et écrit ses mémoires. En 1907, il donne sa démission de l’Académie des Beaux-Art et se trouve reclus à Kuokkala, désormais en terre finnoise. Il perd tout contact avec la Russie jusqu’en 1924 quand, pour son 80ème anniversaire, Moscou lui consacre une exposition où il refuse de se rendre. Il décède aux Pénates le 29 septembre 1930 où il repose et ce n’est qu’en 1992 qu’on lui accorde une forme de pardon en mettant sur sa tombe une croix à la place de la plaque sans âme qui était posée jusque là. |
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Avec Répine, le changement s’est mis en marche
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Pour les jeunes peintres russe de cette fin de siècle, trouver un art national est un moyen de retrouver une identité et une forme d’unité du peuple russe. Cette mouvance néo-russe débute au XIXème siècle au coeur de l’intelligentsia moderniste et ne constitue pas seulement un but artistique mais aussi politique et sociétal. Cette approche unitaire va se prolonger, durant les années 1905-1910, avec les artistes ‘’Modernes’’ qui vont constituer l’Avant Garde russe du XXème siècle. Des artistes comme Gontcharova, Larionov et Malevich vont alors entrer en scène en ré-affirmant leur héritage russe en l’associant à leurs idées nouvelles et au langage plastique qui va marquer ce changement. Durant la seconde moitié du XIXème siècle, les artistes ont tenté de trouver leur propre identité et d’élaborer un art national, en marge de l’art occidental enseigné et imposé par les Académies de Saint Petersbourg et de Moscou. La question du sujet russe s’est posée dès les années 1860, sous l’influence des écrivains qui en appellent à un renouveau en rupture avec l’idéalisme classique. Le retour aux sources, au folklore, aux mythes et aux arts populaires semble être la solution choisie mais l’histoire de la Russie amène aussi les artistes à prendre en considérations les réalités sociales et politiques contemporaines, éléments nouveaux qui vont favoriser la conscience russe et l’émergence d’un nouveau style. (Les Bourlaki, Les haleurs de la Volga,1870-1873, Musée Russe). |
La photo ethnographique va alors jouer un rôle important en fixant les paysages, les éléments folkloriques mais aussi les scènes intimes de la vie quotidienne de la paysannerie russe. La littérature emboite le mouvement avec des écrivains tels que Tolstoï, Tourgueniev, Dostoïevski et la musique n’est pas en reste avec des compositeurs tels que Moussorgski, Tchaïkovski ou Scriabine. Bientôt les nouvelles réformes sociales vont préoccuper les peintres qui revendiquent une peinture plus réaliste. Vers 1860, c’est la révolte des 14 et les expositions de ces artistes d’un nouveau genre, que l’on nomme les «Ambulants» car ils exposent et se déplacent dans toute la Russie, seront soutenus par Tretiakov. Les ambulant revendiquent une peinture au réalisme novateur qui traite d’une réalité sociale et politique exclusivement russe, ce qui va provoquer la censure tsariste. Cet art est en effet porteur d’espoir pour le peuple qui devient visible dans son identité mais montre aussi sa misère, ce dont Tolstoï s’était fait le porte parole par ses écrits et par ses actes. Il faut rappeler ici que la terre appartient toujours à la noblesse richissime qui pratique encore le servage et ce n’est qu’au XVIIIème siècle, avec la Grande Catherine, que l’art s’émancipe de l’influence artistique byzantine pour se tourner vers la culture artistique occidentale. Mais les artistes russes ne veulent plus être des suiveurs et Répine fait partie de ceux qui ont ouvert la voie en exprimant l’âme russe, au travers d’un réalisme social critique, en rupture avec les institutions et les impératifs artistiques en vigueur. |
A la fin du XIXème la terre russe et sa représentation dans le paysage sont, dès lors, non plus idéalisés mais perçus dans leur réalité et leur spécificité. Elles deviennent l’expression même de la culture et de l’âme russe. de la très lente urbanisation du pays et de l’intérêt de l’intelligentsia pour le monde paysan. C’est ainsi que l’être humain s’insinue dans le paysage rural et que l’artiste dépeint l’attachement fort du paysan russe à sa terre natale, même s’il n’en est pas le propriétaire, et aux traditions ancestrales qui relèvent du folklore russe, au sens noble du terme. La représentation de la vie du peuple russe est au centre de la représentation dans le but d’en montrer une image objective mais caractéristique, sans dénoncer ouvertement ni compatir. Les scènes s’inscrivent dans un paysage typique et reconnaissable et le peuple russe est représenté dans sa spécificité identitaire nationale mais aussi régionale (costumes, outils, instruments, évènements…). Le paysage devient un élément à part entière qui a, lui aussi, une spécificité et sert le sujet. Il amène à la contemplation mais aussi à une réflexion sur la Russie et sur son peuple. Les peintres vont donc manifester leur intérêt pour la vastitude des paysages russes parce que cette vastitude est liée aux tâches laborieuses des paysans et à leur servitude. Répine va développer un grand sens de l’observation pour servir non plus un idéal mais bien la réalité telle que les amateurs d’art ne l’avaient jamais vue. Le paysage de décoratif devient descriptif et, par conséquent, informatif. (Femmes pieuses en pèlerinage, 1878.) |
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Mieux connaitre son propre pays par la peinture qu’on en fait, c’est aussi ce que l’on retrouve dans la littérature (par exemple chez Tourgueniev, Récit d’un chasseur) Répine se révèle comme peintre d'histoire et de scènes de genre mais il s'épanouit aussi pleinement dans les années 1880 en composant unegalerie de portraits de ses contemporains et des grands acteurs de la culture russe qui vont eux aussi contribuer au travers de leur oeuvre au développement de la conscience sociale. (Moussorgski), Sans fausse pudeur ni sentimentalité, Répine propose des portraits justes, objectifs, sans accessoire ni décor, mais révélateurs de la personnalité de chacun, qui doit être apparente dès le premier coup d’oeil. Visages et regards sont immanquablement tournés vers le spectateur. Si les notables ont toujours fait l’objet de portraits, le peuple russe devient à son tour sujet de représentation. Dans la hiérarchie, il prend sa place à égalité avec la noblesse et l’intelligentsia et la peinture en souligne ainsi l’importance dans le développement de la nation. Tous égaux pour une même nation! La paysannerie gagne en intérêt en tant que personne humaine et non en tant que valeur économique. Ainsi, la pensée humaniste domine dans la peinture naturaliste russe et montre que l’égalité entre individus est possible. Du moins existe-t-elle sous la forme artistique, ce qui constitue une première étape et reflète les aspirations des intellectuels de cette fin de siècle. Dans son oeuvre, Répine veut réveiller la conscience du peuple et espère aussi inspirer le devoir des puissants à son égard. Progressisme et réalisme sont les mots d’ordre de Répine et des Ambulants mais, pour être compris, les artistes doivent utiliser un langage pictural simple et immédiat qu’il leur reste à inventer. Pour ce faire, Répine propose des scènes quotidiennes de la vie en Russie en laissant le spectateur évaluer librement l’action des personnages dont il peut observer la psychologie pour chacun des protagonistes. (Fille de pêcheur, 1874). Pas de narration ou de moment historique dans ce portrait mais juste un constat qui fait du regardeur un témoin.
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Répine va aller plus loin car, lorsque le pays connait une vague d'activité sociale sans précédent, il va suivre la montée du mouvement révolutionnaire qui s'est accompagné de nombreux actes de violence et en faire la chronique. En effet, la jeunesse éduquée, sensible aux idées socialistes révolutionnaires, va alors partir dans les campagne avec, pour ambition, d’éduquer la paysannerie et les propriétaires terriens aux idées nouvelles. Mais leur démarche idéaliste n’a pas toujours été comprise et ils ont souvent été dénoncés par ceux la même s qu’ i l s voul a i ent a ide r. Le s j eune s révolutionnaires ont pour la plupart été dénoncés, exilés ou exécutés et Répine, observateur du changement de la société russe, va se faire l’écho des soubresauts de la révolution. (Arrestation de propagandistes, 1880-1889) |
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Au tournant du siècle, l’empereur peine à contenir les révoltes nées de son régime autocratique et des réformes qui tardent. Désireux de convaincre qu’il est l’Empereur de l’unité pour tous les peuples de la Russie, il va faire appel à Répine, peintre d’Histoire admiré par ses pairs, pour immortaliser la Russie des tsars bien qu’il ait, en même temps, immortalisé celle des révolutions. (Alexandre III recevant les doyens de cantons dans la cour du palais Petrovski à Moscou, 1886). |
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Répine, à l’instar de son ami Léon Tolstoï, a embrassé toutes les dimensions de la modernité par son oeuvre éclectique et si, dès le début de son activité créatrice, dans les années 1870, Répine est devenue une des figures clés du réalisme russe c’est parce qu’il a su refléter dans sa production picturale, la diversité de la vie qui l’entourait et a toujours réagi à l’actualité. Artiste iconoclaste et chroniqueur de génie, il est resté sa vie, durant attaché à ses origines en mettant la Russie au coeur de son art. Pourtant nourri de différents styles, il en a tiré parti pour aboutir à un langage personnel annonçant un changement plastique qui inspirera l’Avant Garde russe des jeunes artistes du début du XXème siècle (Gontcharova, Ronde, 1910. / Larionov, Portrait de Gontcharova, 1915. / Malevitch, Coupeur de foin, 1913 ) Dès lors, si l’aspect social s’estompe au fil du temps, le caractère populaire de l’art russe va rester durablement visible car c’est l’âme russe qui s’exprime. |
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Gontcharova, Ronde, 1910 |
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Larionov, Portrait de Gontcharova, 1915 |
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Malevitch, Coupeur de foin, 1913 |