Critique cinéma: Rembobimage

John Harrison Levee né en Californie à Los Angeles, le 10 avril 1924,

fils de Michael et Roze Levee.

Les grands-parents de John Levee, russes lithuaniens, avaient émigré aux Etats Unis à la fin du XIXème siècle.

Ils arrivèrent à New York au pays de la liberté et exercèrent une activité dans le domaine de la mode. Roze la mère de John, très jolie femme, actrice connue du cinéma muet et originaire du Montana,avait épousé son père Michael originaire de Chicago.

Ils ont rejoint en Californie le frère de Michael et sont tombés amoureux de cette région où ils s’installèrent définitivement.

Dans les années 1942 John Levee, pris en formation militaire sort comme officier Pilote, et participe à la libération de la France avec l’United States Air Force en tant que Officier Pilote entre 1944 et 1946.

Quand il a terminé la guerre en 1946, il continue ses études à l’Université de Californie (Art Center School University of California) à l’âge de 22 ans et fait en 2 ans le programme universitaire de quatre années en travaillant beaucoup.

En plus comme il avait été Officier Pilote, et avait fait des études de navigation, de géométrie et de mathématiques, l’université lui a donné en supplément des unités de valeurs.

Pendant les études universitaires, John Levee travaille au cours du soir de peinture à la Chenard Art School Los Angeles, California. Il a mené parallèlement des études de philosophie et d’art University of California Los Angeles, California, (UCLA 1948 Bachelor’s of  Art) et lorsqu’il a eu son diplôme de philosophie, il s‘est consacré totalement à la peinture.

 Sollicité après la guerre par les compagnies aériennes américaines pour être pilote de ligne, il préfère la vie d’artiste peintre et part pour la New School of Social Research de New‑York où il travaillera en 1948 et 1949 en compagnie de Stuart Davis, Abbe Rattner, Kuniyoshi et obtient une bourse G.I. Bill (Bourse d’Etude du gouvernement américain).

Il quitte New York pour la France où il arrive en 1949 comme beaucoup de peintres américains et se retrouve à l’Académie Julian en 1950 en compagnie de Sam Francis.

Extrait interview John Levee
Extrait du film "André Almo Del Debbio, 101 ans de vie d'artiste". Interview du peintre américain John Levée, internationalement reconnu, qui a été élève de l'Académie Julian en 1949-1950, et est resté vivre à Paris. Film réalisé en 2009 par Christophe-Emmanuel Del Debbio.
Extrait interview John Levée par DelDebbio

La galerie Huit qui expose les peintres américains l’accueille en compagnie de John Franklin Koenig et Joe Downing et lui fait sa 1ère exposition personnelle.

 Le critique Guy Marister de Combat le remarque et le fait exposer au Salon de Mai qui est une référence à l’époque.

 Au salon de Mai, Myriam Prévost qui dirigeait la Galerie de France à Paris et René Gimpel de Londres lui ouvrent les portes de leurs galeries.

 De nombreuses expositions vont suivre : ‘’ Les peintres Américains en France ‘’ Galerie Craven en 1953, ‘’ Dix jeunes peintres de l’Ecole de Paris ‘’ Galerie de France  en 1956, ‘’Antagonismes’’ Musée des Arts Décoratifs en 1960 et la fameuse exposition annuelle ‘’L’Ecole de Paris’’ à la galerie Charpentier de 1958 à 1961.

Plus tard il a enseigné dans les Universités Washington University of Saint Louis, Etat du Missouri, de la Ville de Champagne, Université de l’ Etat de l'Illinois (1965), de New‑York ( New York University) en 1967-1968 et de la Californie du Sud ( Southern California University of Los Angeles) en 1971.

Patrick Reynolds

JOHN LEVEE : LE CONCRET ET L’ABSOLU

En 1944 John Levee a 20 ans, il sait ce qui se passe en Europe. Le  jeune pilote  s’engage dans l’US Air Force pour libérer l’Europe plongée dans l’horreur, l’apocalypse et la destruction, les déplacements de populations, la déportation et l’extermination de millions de juifs. Après-guerre, bénéficiant d’une bourse d’études, il décide de se fixer en France.  Mais tout débute pour lui à New York. Levee  participe alors au renouveau de l’art moderne des années 40-50. Il appartient au mouvement majeur de l’époque - l’expressionnisme abstrait - aux côtés Jackson Pollock, Franz Kline, Adolph Gottlieb, Robert Motherwell, Mark Rothko, Willem De Kooning, Stuart Davies et David Smith.

Malgré des techniques et des langages picturaux différents tous ces peintres révolutionnent l’art de leur temps par une abstraction sensuelle, violente et souvent colorée. L’émotion se donne selon de nouvelles voies et une liberté subversive émerge. Dans cette mouvance le parcours de John Levee est particulièrement intéressant même s’il n’a pas obtenu la reconnaissance publique qui accompagne le travail d’un Pollock, d’un Motherwell ou d’un Rothko. Après l’âge d’or du mouvement et à partir des années 70 Levee s’oriente vers une exigence plus disciplinée. Apparaît dans son œuvre une sorte de néo-constructivisme ou un géométrisme dans lesquels se lisent encore les pulsions de sa période antérieure. Devenant le plus parisien des peintres américains on le classe parfois dans la seconde école de Paris. Mais tout cela reste néanmoins secondaire. Ce qui compte demeure la force particulière d’une œuvre d’une rigueur, d’une pureté rare. Levee n’a jamais triché et son travail le prouve. Et il mérite pour ceux qui l’ignoreraient encore plus qu’un simple coup d’œil.

Couleurs et formes simplifiées jouent sur des coups de force. Les œuvres du peintre frappent loin des archétypes fantasmatiques. La peinture parle par et pour elle-même. Il ne faut pas chercher sinon dans son langage ce qui s’y fomente. Le peintre ne cherche en rien à méduser sinon par la puissance stupéfiante d’un propos pictural à la clarté aveuglante. La peinture devient son propre lieu. C’est bien là l’essentiel même si on a reproché parfois à Levee de ne pas mettre assez « visiblement » dans ses toiles une thématique. Mais en art il y a belle lurette que la thématique n’a plus lieu de citer. Il est d’autres médias pour illustrer le monde par effet de réel. Et l’artiste fait mieux : il va plus loin, plus profond. Il atteint les racines de l’émotion alimentée pour jaillir d’une connaissance sans faille de l’histoire de l’art et par une technique longuement élaborée.

La peinture quitte le « cliché » pour devenir épreuve. Et l’œuvre est devenue dans sa propre inventivité une réflexion fondamentale sur le sens des images. Au lieu de « représenter » l'horreur dans sa plus nudité  cette peinture devient le génie de son lieu. L’ombre de la chair y est omniprésente mais de manière tacite comme s’il ne fallait pas jouer avec des images trop précises quant au potentiel de réalisme. En ce sens Levee est revenu à un précepte majeur de De Vinci : ne jamais exhumer certains types de traces.

On peut même se demander si pour cet artiste il ne fallait pas rayer de la carte du visible de telles empreintes au nom même de l'invisibilité et de l'irreprésentable que constitue la Shoah et la barbarie nazie.  Ne serait-il pas sur ce plan proche de Claude Lanzmann  pour qui si l'on découvre des images de l'horreur des camps il faut les détruire (d’où la polémique de ce dernier avec Didi-Huberman lorsque furent exhumées photographies des fours crématoires nazis). Levee refuse de suggérer une fascination morbide dont le voyeur peut maladivement se repaître. Son œuvre n’a rien de reliques ou de religieux.  Elle veut signaler la victoire de la vie sur la mort. Elle possède aussi l’immense mérite d’oser le beau et de le dégager de « la croyance photographique"  (Gérard Wajcman).

Si parler des camps - comme l'ont fait par exemple Primo Levi, Paul Celan, Anna Arendt, Giorgio Agamben et bien d'autres - demeure nécessaire, il n'en va pas de même dans le champ de l'iconographie. Levee l’a très tôt compris – et son statut d’abstracteur n’y est pas pour rien. Il a préféré une peinture plus profonde, viscérale et rupestre, une peinture simple mais qui n’a rien d’une simple image. Son oeuvre par la position même de son créateur repose  les questions essentielles sur la peinture et son fondement. Ce travail n’a donc cesse d’interroger dans un sens d’images plus profondes et dans lesquelles  la disparition des « choses » n’est pas - tant s’en faut - une absence de mémoire.  L’œuvre résiste par l’émotion sublimée qui approfondit la réflexion mais en  jettent un souffle existentiel sur les vivants (et non seulement les survivants).

Ce souffle ne possède rien de délétère et de morbide. L’œuvre préserve quelque chose de salvateur touchant à la mémoire, au savoir, à l'émotion la plus profonde. Elle nous retourne sans complaisante fascination.  En ce sens elle dévoile en imposant son pouvoir non d’étrangeté mais de lieu d’appel absolu, incommensurable. L’œuvre si elle ne veut  montrer l'impensable fabrique toujours une « re –présentation »  fidèle à l'irreprésentable et qui devient sens du  et des sens. Tout se joue toujours sur la tentative de parvenir  à atteindre et provoquer le mental par l’émotion éloignée de l’émotivité basique et de surface.

Certes toute peinture sera toujours coupable de ses manques. Elle n'en demeure pas moins nécessaire et celle de Levee plus qu’une autre. Face aux faux-semblants et bien sûr aux révisionnismes toujours latents l’œuvre de l’Américain de Paris crée l'image qui revient où rien n'est résolu de nos interrogations - au contraire. Mais c'est là sa force de  hantise de l'air qui atteint et touche. L’œuvre mieux que tout autre manifeste probablement cet état de survivance qui n'appartient à la vie plus qu’à la mort et nous rend dans un état aussi paradoxal que celui des spectres qui sans relâche mettent du dedans notre mémoire en mouvement. C'est pourquoi il faut se confronter à l’oeuvre :  son génie du lieu sert aussi à penser.

Jean-Paul Gavard-Perret

 

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