QUAND LE GRUYERE N’EST PLUS SOUS CLOCHE texte par Jean-Paul Gavard-Perret
Joëlle Flumet, "Bite, cul, nichons et chatte", Editions Ripopée, 112 p., Nyon, CHF 12, 2012
Joëlle Flumet, "C'est bon de ne pas regarder à la dépense", Coll. Sonar, Ed. Art et Fiction, 32 p., coll. Sonar, Art et Fiction, Lausanne, CHF 29, 2012
Après s’être posé la question « qu'est-ce que je vois encore avec les yeux qu'on m'a donnés et avec les mains. Je saisis quoi ? » Joëlle Flumet met à mal ce qu’on a coutume d’appeler la neutralité helvétique. L’artiste genevoise n’est pas de celles qui se contentent d’écouter ce que disent les fleurs – si ce n’est celle de son secret…
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Se disant à elle-même « Courage ma fille, courage » elle monte telle une mouche contre la vitre des prétendues transparences pour la faire trembler puis voler en éclats. Elle cherche, attend, troue laissant revenir un bric-à-brac de morceaux à recomposer. Elle ouvre aussi des armoires énigmatiques - où il fait très noir - afin que ce qui y est caché se mette à bouger. Et la voici à nouveau Fée des Faveurs iconoclaste. Une de ses dernières œuvres a fait scandale à l’« Art and the City » de Zurich. Elle y a transformé le slogan de la compagnie Ernst & Young « Quality Is What We Do » en « Quality Is What We Did », jouant ainsi avec le passé industriel du quartier Zürich-West et le fait que des entreprises remplace les espaces libres de l'art. []Ernst & Young a exercé de pression pour obtenir le démontage de l'œuvre mais en vain. Mais da provocation prend parfois un aspect plus intimes. Elle peut se contenter de dramaturgies livresques avec « Bite, cul, nichons et chatte », « C’est bon de ne pas regarder à la dépense ». L’artiste domine humoristiquement ce qui généralement fascine les voyeurs, réclame leur appétit et démange leur carcasse. Il ne s’agit pas de proposer une contemplation passive d’un sujet ou d’un motif mais d’éclairer la perception du monde. Le traitement de l’illusion codé par les mediums où la nudité est à l’honneur est donc biaisé par un traitement oblique. Un tel travail permet de redéfinir bien des limites. Ici ce qui unit divise : l'inverse est vrai aussi. Le tout crée un monde de lignes et de plans qui courbent l'obscur, transportent ou infusent "du" signe avec une certaine idée de la transparence là où généralement le trouble est cultivé.. A la verticalité du corps répond l’horizontalité de sa trace que l'artiste dénude et drape. Elle sait que cela ne sert à rien de presser le réel pour voir s’il en sort des images. Cela ne sert à rien non plus de vider les images pour en filtrer le jus de la réalité. Ce qui l'intéresse ce n'est pas le réel, ni ce qui est au-delà, mais la confrontation de l’image et de la réalité. La seconde n’existe que par la première contrairement aux idées reçues. Sous d’anciens plis de la perception et de vieilles habitudes de contemplation l’artiste croise imaginaire plastique et phrastique. Si bien que ces deux livres proposent d’étranges labyrinthes. Dans leur espace à deux dimensions se résolvent soudain bien des problèmes des corps corpusculaires en trois dimensions dans l’espace L'arrogance double ainsi les liens qu’on entretient avec les images « vicaires ». Tout un monde caché remonte de la manière la plus simple et nette qui soit. Ce choc provoque l'expulsion de l’anecdote. Et c’est un plaisir incessant de voir Joëlle Flumet accorder à l’art les derniers outrages en entretenant une obsession plus à l’humour qu’à l’amour. Car si les femmes accordent au second plus d’attention que les mâles, l’artiste suisse reste sur ce point des plus circonspectes. De l’ineffable elle ne fait pas un fromage sinon peut-être du Gruyère. Non parce qu’il est suisse mais à cause de ses trous… Jean-Paul Gavard-Perret |
