| Cette exposition offre un itinéraire illustrant toutes les étapes et d’une grande partie des recherches de l’artiste. En contemplant les oeuvres accrochées, dont certains chefs d’oeuvre qui ont bouleversé l’histoire de l’art, nous assistons à la lutte de l’artiste pour parvenir à un équilibre entre rigueur et émotion, entre spontanéité —“le fortuit nous révèle l’existence”, a écrit Braque— et méthode. Les avancées de Braque ont imprégné la sensibilité contemporaine et son oeuvre est inséparable de celle d’autres créateurs dans de nombreux domaines qui ont également exercé une puissante influence sur notre façon de percevoir la réalité, tels Apollinaire, René Char, Erik Satie ou Pablo Picasso. La documentation et les photographies qui accompagnent l’exposition nous familiarisent d’ailleurs avec le contexte intime de l’artiste et mettent en relief ses liens d’amitié et ses collaborations avec d’autres auteurs créateurs d’une époque d’ébullition artistique.
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| Les Poissons noirs , 1942 Huile sur toile ; 33 x 55 cm
 Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris
 Don de l’artiste, 1947
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © Philippe Migeat - Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist.RMN-GP
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|  Cette rétrospective représente une occasion privilégiée de découvrir l’art de Georges Braque, son travail nourri de sérénité et de sagesse dans lequel perce l’harmonie qui sous-tend toutes choses. Bienvenue dans ce passionnant parcours sur la vie et la carrière d’un artiste unique. 
 Je tiens particulièrement à féliciter l’excellente équipe du Musée Guggenheim Bilbao, menée par son directeur Juan Ignacio Vidarte, ainsi que la commissaire de l’exposition Brigitte Leal, qui, au-delà de l’accent naturellement mis sur le cubisme, a su réunir des oeuvres allant de la période fauviste de Braque jusqu’à celles de la période ultime de sa vie dont l’apogée sont les séries sur les grands ateliers et les oiseaux.
 
 Francisco González
 Président de la Fondation BBVA
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| À l’occasion du 50ème anniversaire de la mort de l’artiste, le Musée Guggenheim Bilbao présente avec Georges Braque la plus ambitieuse rétrospective montée à ce jour en Espagne
 sur Georges Braque (1882–1963), l’un des figures de proue de l’avant-garde du début du XXe
 siècle. Présenté selon un parcours chronologique, l’exposition couvre toutes les étapes de la
 carrière de l’artiste, depuis les débuts liés au fauvisme jusqu’aux dernières séries : les ateliers, les
 oiseaux et les paysages de Varengeville.
 
 Grâce à des prêts exceptionnels consentis par le Centre Georges Pompidou ainsi que par
 d’autres grandes collections publiques ou privées du monde entier, l’accrochage comprendra
 près de 250 oeuvres, parmi lesquelles certains des plus grands chefs-d’oeuvre de celui qui fut
 précurseur du cubisme avec Picasso et l’inventeur de la technique du collage avec les papiers
 collés. Par ailleurs, l’exposition, organisée avec l’éminent soutien du mécénat de la Fundación
 BBVA, met en lumière l’étude des natures mortes chez Braque avec les séries des guéridons ou
 des compotiers, celles des canéphores et des billards de l’Après-guerre, et pour terminer celles
 des ateliers et des oiseaux réalisées par l’artiste au soir de sa vie, ultimes séries qui élargissent et
 résument l’ensemble des recherches de l’artiste.
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| Compotier et cartes , début 1913 Huile rehaussée au crayon et au fusain sur toile 81 x 60 cm
 Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris
 Don de Paul Rosenberg, 1947
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © Georges Meguerditchian - Centre Pompidou, MNAMCCI/Dist. RMN-GP
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| En même temps, Georges Braque établit d’autres et passionnantes perspectives sur des facettes
 plus personnelles de l’artiste notamment par le biais de matériels documentaires et
 photographiques souvent inédits. Signalons en particulier la collaboration de Braque avec Pablo
 Picasso pendant les années du cubisme, l’étroite relation de son art avec la musique —il jouait
 de plusieurs instruments, dont l’accordéon, la flûte et le violon—, son amitié avec le compositeur
 Erik Satie ou les liens de complicité qui l’unissaient à des poètes tels Pierre Reverdy, Francis
 Ponge et René Char, ainsi qu’à certains intellectuels de son temps comme Carl Einstein ou
 Jean Paulhan. En clôture de l’exposition, une importante section de cette rétrospective est
 consacrée aux travaux de décorateur de théâtre qu’il réalisa dans les années vingt, qui pourront
 être contemplés à l’occasion d’un montage unique conçu en exclusivité pour l’édifice de Frank
 Gehry.
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| Georges Braque est une rétrospective qui revendique la place essentielle de l’artiste dans l’histoire de l’art, place qui a parfois été sous-estimée. Selon Brigitte Leal, commissaire de
 l’exposition, « Son statut d’artiste officiel de la France gaullienne lui avait indiscutablement porté
 ombrage auprès de la génération montante contestataire » et l’a plongé pendant quelques
 décennies dans un oubli relatif. L’exposition porte un regard unique sur un artiste exceptionnel
 dont la maxime, extraite de ses cahiers Le jour et la nuit, était « Il ne faut pas imiter ce que l’on
 veut créer ».
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| La période fauviste et les débuts du Cubisme | 
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| Paysage de l’Estaque , 1906–1907 Huile sur toile 50 x 61cm
 Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Dation, 1986
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © Philippe Migeat - Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMNGP
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| Le parcours de l’exposition débute sur les premières oeuvres du jeune Braque, formé à l’Académie des Beaux-arts de Paris, qui rejoint le Fauvisme après avoir découvert en 1905, au
 Salon d’automne du Grand Palais de Paris, le travail d’un groupe d’artistes appelés « fauves », qui
 rejetaient les conventions académiques en exprimant leurs sensations au moyen de couleurs
 pures dans des compositions librement structurées.
 
 Les paysages peints en 1906 du port de L'Estaque, près de Marseille, ou les toiles réalisées en
 1907 à La Ciotat, autre port provençal, reflètent la conversion de l’artiste à l’espace-couleur de ce
 mouvement d’avant-garde.
 
 « Jeune peintre, j’ai nourri ma curiosité et mes rêves avec les oeuvres des grands coloristes du
 passé. Depuis les Primitifs jusqu’à Van Gogh et à Boudin... Il y avait des étapes…Raphaël, Corot,
 Chardin entre autres… Le moment de la réflexion, qui fut aussi celui du choix, est venu avec la
 rencontre des peintures fauvistes de Matisse, de Derain à leur période fauve », affirmait l’artiste.
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| Le Viaduc de l’Estaque, début 1908 Huile sur toile 72,5 x 59 cm
 Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Dation, 1984
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © Georges Meguerditchian - Centre Pompidou, MNAMCCI/ Dist. RMN-GP
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| Accompagné du poète Guillaume Apollinaire, Braque visite à l’automne 1907 le Bateau-Lavoir, un immeuble de Montmartre connu au début du XXe siècle comme lieu de réunion de
 nombreux peintres et écrivains, où Picasso avait son atelier. Il y découvre la dernière composition
 sur laquelle travaille l’artiste originaire de Malaga, Les demoiselles d’Avignon (1907), et reste
 fasciné par cette toile sauvage, composée d’un ensemble de plans angulaires sans fond ni
 perspective spatiale.
 
 Cette rencontre va représenter un tournant dans la vie et l’oeuvre de Braque. D’un côté, elle
 marque le début d’une étroite relation entre les deux artistes, et de l’autre, et surtout, elle est à
 l’origine du Cubisme. Braque, lassé de la prédominance de la couleur chez les fauvistes, et après
 la découverte du nouveau langage de Picasso, s’embarque dans une nouvelle étape picturale
 dans laquelle les plans remplacent les volumes, l’espace prend toute son importante et les tons
 ocre et gris prédominent. Ce tournant est illustré dans l’accrochage par quelques-uns de ses
 paysages, architectures, instruments de musique et portraits comme Grand nu (hiver 1907–juin
 1908), qui représente une femme dont le corps en torsion peut être perçu sous plusieurs angles.
 
 Après avoir assisté à l’exposition Georges Braque présentée par Apollinaire à la galerie
 Kahnweiler de Paris en 1908, Matisse qualifie de « petits cubes » les derniers paysages de
 L’Estaque réalisés par l’artiste, dans lesquels dominent les volumes géométriques et compacts
 articulés par des plans. Le critique Louis Vauxcelles reprend l’expression de Matisse et cette date
 marque ainsi les débuts officiels du Cubisme.
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| Le Cubisme analytique, les papiers collés et le Cubisme synthétique | 
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| La Guitare, 1912 Fusain, papier faux bois collé sur papier 70,2 x 60,7 cm
 Collection particulière
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © Laurens / Leiris SAS Paris
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| Entre 1909 et 1914, Braque et Picasso dirigent au cours de plusieurs étapes une authentique révolution esthétique qui, en rupture totale avec la vision classique, annule la perspective
 traditionnelle, présente les objets sous divers angles juxtaposés et réduit la couleur, trop
 anecdotique, à des clairs-obscurs de gris-beige et de vert. La lumière, en revanche, occupe une
 place très importante dans l’oeuvre de l’artiste, qui la répartit de façon non uniforme sur chacune
 des faces de l’image.
 
 Cette nouvelle phase du travail de Braque, baptisée cubisme analytique, est illustrée ici par des
 toiles représentant des objets quotidiens et des instruments de musique dont la silhouette est
 uniquement suggérée par l’orientation des aplats et des arêtes. En 1910, Braque réalise ses
 premières compositions en format ovale, et un an plus tard, avec Picasso, il commence à
 expérimenter avec l’imitation de certaines textures et ombres, ainsi qu’à incorporer la
 typographie moderne dans ses oeuvres suivant la technique du pochoir. De cette façon, il
 réintroduit dans des compositions de plus en plus désintégrées des fragments de la réalité qui se
 fondent directement dans l’oeuvre.
 
 Braque a ainsi commenté cette période : « À cette époque, j’étais très lié à Picasso. Malgré nos
 tempéraments très différents, nous étions guidés par une idée commune. […] Nous habitions
 Montmartre, nous nous voyions tous les jours, nous parlions… On s’est dit avec Picasso pendant
 ces années-là des choses que personne ne se dira plus, des choses que personne ne saurait plus
 se dire, que personne ne saurait plus comprendre… des choses qui seraient incompréhensibles…».
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| Grand Nu, hiver 1907–juin 1908 Huile sur toile 140 x 100 cm
 Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
 Dation Alex Maguy-Glass, 2002
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © Georges Meguerditchian - Centre Pompidou, MNAMCCI/Dist. RMN-GP
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 L’accrochage se poursuit avec les célèbres papiers collés que Braque réalise entre 1912 et 1914, et
 qui impriment un nouveau caractère à son cubisme. En 1912, alors qu’il passe l’été à Sorgues avec
 Picasso, il découvre dans une vitrine à Avignon un papier faux-bois de chêne, dont il décide de
 découper trois fragments pour les coller sur du papier à dessin. Le papier collé va lui permettre
 de résoudre la dissociation entre la forme et la couleur, dans la mesure où ces matériaux
 fonctionnent comme des signes en convoquant le réel par la métaphore et non par l’imitation.
 Grâce à ces découpes de papier peints et à ces morceaux de journaux, les couleurs des toiles
 cubistes se diversifient, ouvrant la voie au cubisme synthétique. Braque l’a ainsi exprimé : « Les
 papiers collés ont achevé de détruire magnifiquement la vision de la perspective classique, les
 conventions mortelles qu’elle imposait ».
 
 La même salle du musée accueille la production de l’artiste postérieure aux papiers collés, au
 cours de laquelle il intègre les connaissances acquises en faisant évoluer le cubisme vers une
 forme plus lisible pour le public, qualifiée de « synthétique », car il considère que les formes
 toujours plus fragmentées des motifs qu’il représente sont devenues trop complexes. Ainsi,
 commence-t-il à utiliser des teintes uniformément sombres ou travaillées en faux bois, imitant les
 papiers collés, et à introduire une autre série d’éléments : de la sciure, du sable, du papier et
 divers matériaux pour rendre les éléments qu’il représente plus reconnaissables. En 1914, lorsque
 la Première Guerre mondiale éclate, la mobilisation et le départ au front de l’artiste interrompt
 brutalement sa carrière. Il reviendra à la peinture en 1917 après avoir été grièvement blessé à la
 tête en 1915 et une longue convalescence.
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| Natures mortes, nus, canéphores et la Théogonie d’Hésiode | 
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| Canéphores , 1922 Huile sur toile 180,5 x 73 cm chacune
 Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris
 Legs Baronne Eva Gourgaud, 1965
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © Bertrand Prévost - Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP
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| Après la guerre, Braque reprend la peinture en approfondissant les apports du Cubisme synthétique, qu’il applique à ses natures mortes. Il réalise des compositions bigarrées, dans des
 formats allongés où se combinent en toute harmonie la forme, la couleur et la matière et qui
 prennent souvent comme motif le compotier, un sujet que chérissait Cézanne, peintre
 hautement admiré par Braque. Le contexte artistique change radicalement après la guerre et le
 cubisme n’est plus une nouveauté révolutionnaire, puisque d’autres peintres vivant en France
 comme Juan Gris, Albert Gleizes ou Jean Metzinger le pratiquent également. Braque, toujours
 soucieux d’innovation, continue à explorer de nouvelles voies autour du cubisme.
 
 La même salle où sont présentés ces travaux accueille aussi ses célèbres Canéphores, avec
 lesquelles, en 1922, il surprend ses contemporains au Salon d’automne de Paris, où l’artiste, déjà
 consacré à l’âge de 40 ans, expose dix-huit toiles. Il s’agit de deux nus féminins à mi-corps et de
 robustes proportions qui portent des paniers de fruits sur la tête, traités dans une matière
 épaisse, quasi rugueuse. Même si elles évoquent les Nymphes de la fontaine des Innocents de
 Jean Goujon, emblématiques du classicisme français, ces figures s’inscrivent encore, par leurs
 proportions et leurs couleurs anti-académiques, dans la continuité du dernier cubisme. Ce regard
 sur le passé, très commenté et loué par la critique et les artistes du moment, est qualifié à
 l’époque comme un retour à l’ordre et à la figuration chez Braque, qui, séduit par certains
 peintres du passé comme Corot et Chardin, entreprend la relecture moderne d’un thème classique.
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| Fruits sur une nappe et compotier , 1925 Huile sur toile 130,5 x 75 cm
 Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat à l’artiste 1947
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © Bertrand Prévost - Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist.RMN-GP
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 Les majestueuses Canéphores et les nus imposants aux couleurs minérales qui rappellent les «
 Baigneuses » de Picasso se prolongent en 1926–1927 sur deux natures mortes anthropomorphes,
 Nature morte au compotier et Nature morte au pichet, destinées à l’atelier construit pour Braque
 en 1925 à Paris par l’architecte français Auguste Perret.
 
 En 1931, le marchand et éditeur Ambroise Vollard, grand amateur d’estampes, propose à Braque
 d’illustrer un texte. Braque choisit la Théogonie du poète grec Hésiode (VIIe siècle av. J.C.), un
 récit consacré à l’origine de l’univers et à la naissance des dieux qui est considéré comme l’un des
 grands textes de la mythologie grecque. Entre 1932 et 1935, il exécute une série de seize eaux
 fortes, qui seront publiées par la Galerie Maeght en 1955. Le procédé utilisé, la taille douce, une
 gravure obtenue en travaillant le métal avec un burin, donne à l’artiste une grande liberté pour
 dessiner des lignes onduleuses et biomorphiques qui rappellent celles des surréalistes.
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| Natures mortes des années 1930, la période de guerre et les billards | 
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| Femme à la palette, 1936 Huile sur toile 92,1 x 92,2 cm
 Musée des Beaux-Arts, Lyon
 Legs de Jacqueline Delubac, 1997
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda / Thierry Le Mage
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| Dans les années 1930, Braque s’ouvre à diverses sources d’inspiration. Tout en continuant à travailler le thème de la nature morte, avec des compositions qui deviennent de plus en plus
 décoratives, l’artiste introduit des figures humaines dans ses oeuvres ; ainsi par exemple, dans
 Femme au chevalet (1936) ou Le Duo (1937), elles sont saturées de signes ornementaux. Ces
 silhouettes sombres et dépersonnalisées, qui descendent des figures noires des vases grecs, sont
 une personnification des muses de la poésie et de la musique qui peuplent l’univers spirituel de Braque.
 
 Au début de la Seconde Guerre Mondiale, Braque se trouve avec Joan Miró à Varengeville-sur-
 Mer, où depuis 1931 il possède un atelier dessiné par l’architecte Paul Nelson. Braque
 reconnaissait être « très sensible à l’atmosphère environnante » ; pendant cette période et celle
 de l’Occupation, il exécute des oeuvres sombres et douloureuses, où apparaissent des têtes de
 mort flanqués de crucifix et de rosaires ou de poissons noirs chrétiens qui évoquent le malheur
 de la guerre. Pour l’écrivain Jean Paulhan, qui en 1945 désignera Braque comme « le Patron », la
 toile Les Deux Rougets (1941), que lui offre le peintre, constitue « un mélange de violence
 extrême et de sérénité ». Ce climat de sourde inquiétude hante ses intérieurs et ses ateliers et
 domine également deux rares peintures avec figures humaines de 1942 : L’Homme à la guitare et
 Homme au chevalet, avec un personnage qui est une métaphore de la solitude et la mélancolie
 de l’artiste dans un monde dont a disparu la musique.
 
 En 1944, Braque se lance dans une série sur un thème inattendu, les billards, qu’il terminera en
 1949, dans laquelle il explore la multitude de vues partielles et déformées qu’un joueur de billard
 a sur le tapis vert. Dans ces oeuvres, il récupère l’espace visuel cubiste et ses jeux homothétiques
 entre formes, signes et couleurs.
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| Ateliers et oiseaux | 
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| L’Oiseau noir et l’oiseau blanc, 1960 Huile sur toile 134 x 167,5 cm
 Collection particulière
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © Laurens / Leiris SAS Paris
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| Le thème des billards laisse place à celui des ateliers, un grand classique depuis le XVIIIe siècle qui est repris par de nombreux contemporains de Braque. Ce dernier, en 1949, entreprend une
 nouvelle série de huit toiles dans laquelle il résume les recherches qu’il a effectuées jusque-là.
 Dans ces lieux clos, il représente des objets, tant réels que métaphoriques, comme la figure d’un
 oiseau ou une palette (toujours présente pour évoquer la création).
 
 Le thème de l’oiseau, déjà apparu dans le travail de Braque et de façon plus évidente dans la
 série des ateliers, est stimulé par la commande que reçoit l’artiste en 1955 de décorer l’une des
 salles consacrée aux collections étrusques du musée du Louvre. Braque, alors âgé de 70 ans, va
 travailler dans cet espace pendant trois mois. Dans les trois panneaux qu’il peint apparaissent
 d’énormes oiseaux bleus et noirs aux formes sensuelles. Les peintures présentées dans
 l’exposition attestent de l’importance du thème emblématique et archétypique des oiseaux dans
 l’oeuvre ultime de Braque, mais aussi de la vitalité d’un artiste ouvert jusqu’à ses derniers jours à la
 nouveauté. Traité au départ de façon figurative et matiériste, le motif devient de plus en plus abstrait.
 
 Comme l’a exprimé Braque, les oiseaux l’avaient toujours inspiré, et il essayait d’en tirer le
 meilleur parti pour son dessin et sa peinture. « Il me faut pourtant enfouir dans ma mémoire leur
 fonction naturelle d’oiseaux. Le concept même après le choc de l’inspiration qui les a fait se lever
 dans mon esprit, ce concept doit s’effacer, s’abolir pour mieux dire, pour me rapprocher de ce
 qui me préoccupe essentiellement : la construction d’un fait pictural »
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| Les derniers paysages | 
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| Les Champs de colza , 1956–1957 Huile sur toile 37 x 81,5 cm (avec cadre peint par l’artiste)
 Collection particulière
 © Georges Braque, VEGAP, Bilbao, 2014
 Photo © Laurens / Leiris SAS Paris
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| Le parcours chronologique de l’oeuvre de Braque s’achève sur une série de paysages (1955-1963) que l’artiste peint à la fin de sa vie, alors qu’il vit entre Paris et Varengeville. Ce sont de larges
 panoramas dans lesquelles, à perte de vue, rien n’est visible si ce n’est le contact entre la terre ou
 la mer avec un ciel ponctué de signes noirs (oiseaux) ou blancs (nuages). Dans les derniers
 tableaux du peintre, la construction du fait pictural, dont Braque avait fait son credo, est palpable
 et ici elle est matérialisée par deux franges de peinture épaisse et croûteuse.
 
 À la mort de Braque, Giacometti lui rendre hommage en évoquant des derniers travaux : « De
 toute cette oeuvre, je regarde avec le plus d’intérêt, de curiosité et d’émotion, les petits paysages.
 Je regarde cette peinture presque timide, impondérable, cette peinture nue, d’une toute autre
 audace, d’une bien plus grande audace que celle des années lointaines ; peinture qui se situe
 pour moi à la pointe même de l’art d’aujourd’hui, avec tous ses conflits. »
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| Braque, décorateur de théâtre | 
| En dernière partie, une salle entière de l'édifice de Frank Gehry est consacrée à la relation de Braque avec les Ballet Russes, Serge Diaghilev et Léonide Massine, avec lesquels ont aussi
 collaboré de nombreux artistes de l’époque. Dans le cas de Braque, cette relation s’est
 manifestée dans quatre oeuvres : Les Fâcheux (1924), Salade (1924), Zéphire et Flore (1925) et
 Les Sylphides (1926). Trois de ces ballets furent mis en scène par les Ballet Russes, tandis que
 Salade, sur une chorégraphie de Massine, fut mis en scène pour le spectacle de charité organisé
 par le comte Etienne de Beaumont au théâtre de La Cigale. Dans une mise en scène
 d’inspiration théâtrale, le musée a installé des esquisses, des costumes et une maquette, ainsi que
 le rideau peint par Braque pour le ballet Salade, inauguré à Paris le 17 mai 1924, et que le public
 pourra contempler pour la première fois depuis très longtemps.
 
 Il s’agit là d’une magnifique conclusion pour mettre un point final à l’exposition la plus complète
 jamais consacrée à Georges Braque en Espagne à ce jour, une rétrospective unique qui situe
 l'oeuvre de Braque à l’épicentre de l’avant-garde artistique du XXe siècle.
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| Catalogue | 
| L’exposition est assortie d’un catalogue dans lequel la commissaire, Brigitte Leal, et divers spécialistes, comme Henry-Claude Cousseau, Philippe Dagen, Maryline Desbiolles, Claudine
 Grammont, Christopher Green, Étienne-Alain Hubert, Joël Huthwohl, Rémi Lambrusse, Claire
 Paulhan ou Maria Stavrinaki, se penchent sur la trajectoire stylistique de Georges Braque.
 Abondamment illustré avec des oeuvres de l’exposition et d’autres toiles de référence, le
 catalogue offre également une chronologie de la trajectoire vitale de l’artiste réalisée par
 Lauriane Manneville.
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| Chronologie | 
| 1882 Naissance le 13 mai 1882 à Argenteuil-sur-Seine.
 Son père, Charles Braque, possède une entreprise de peinture en bâtiment.
 
 1905
 Élève de Léon Bonnat à l’École des Beaux-arts de Paris.
 Au Salon d’automne, découverte du fauvisme au travers des peintures de Matisse, Manguin,
 Derain, Vlaminck, Marquet et Camoin.
 
 1906
 Création du Cercle d’art moderne du Havre. Jusqu’en 1909, Braque, Othon Friesz et Raoul Dufy
 participent aux expositions annuelles de peinture fauviste.
 En juin, à Anvers, peint ses premières toiles fauvistes. En octobre, premier séjour à L’Estaque :
 « C’est dans le Midi que j’ai senti monter en moi mon exaltation ».
 
 1907
 20 mars–30 avril : Expose six paysages fauvistes au Salon des Indépendants.
 À l’automne, séjours à L’Estaque et à La Ciotat, avec des paysages plus proches du style de
 Cézanne.
 Fin novembre : au Bateau–Lavoir, Apollinaire le présente à Picasso.
 
 1908
 8–9 novembre : Galerie Daniel-Henry Kahnweiler, première exposition personnelle, avec des
 paysages géométrisés qui marquent le début officiel du cubisme. Le catalogue est préfacé par
 Apollinaire.
 
 1909
 Été à La Roche-Guyon, près de Nantes, premiers paysages du Cubisme analytique.
 
 1911
 Apparition pour la première fois dans son oeuvre picturale d’éléments typographiques avec la
 technique du pochoir, qui enrichissent le sens et la compréhension des oeuvres.
 
 1912
 En septembre, à Sorgues, création du premier papier collé, Compotier et verre, qui introduit un
 élément étranger dans l’oeuvre d’art et permet la séparation entre couleur et forme.
 
 1913
 Apparition du Cubisme synthétique. Les peintures intègrent ce qui a été appris avec le papier
 collé, en imitant ses matières et ses signes typographiques.
 
 1914
 3 août : Déclaration de guerre.
 Braque est mobilisé. Le 14 novembre, il est envoyé au front sur la Somme.
 
 1915
 Le 11 mai, il est grièvement blessé dans l’Artois et cesse de peindre jusqu’en 1916.
 
 1917
 La revue de Pierre Reverdy, Nord-Sud, publie ses « Pensées et réflexions sur la peinture ».
 
 1919
 5–31 mars : À la galerie L’Effort moderne de Léonce Rosenberg, deuxième exposition
 individuelle, avec des natures mortes. Début de son amitié avec Erik Satie.
 
 1922
 1er novembre–20 décembre : Au Salon d’automne, Les Canéphores illustrent sa nouvelle
 inspiration classique.
 
 1924–1925
 Collaboration avec les Ballets Russes de Serge Diaghilev (Les Fâcheux, Zéphire et Flore,
 Salade), pour les soirées parisiennes du comte de Beaumont.
 2–21 mai 1924 : première exposition à la résidence de son nouveau marchand, Paul Rosenberg.
 
 1925
 Atelier construit par Auguste Perret à Paris, à côté du parc Montsouris.
 
 1926
 23 mars : Mariage avec Marcelle Lapré, son inséparable compagne depuis 1910.
 
 1930
 Atelier construit par Paul Nelson à Varengeville-sur-Mer, où il s’installe une partie de l’année.
 
 1932
 Illustre la Théogonie d’Hésiode pour Ambroise Vollard. Cycle de peintures, estampes et
 sculptures d’inspiration mythologique.
 
 1933
 9 avril–14 mai : Rétrospective à la Kunsthalle de Bâle. Le catalogue est préfacé par Carl Einstein,
 auteur de sa première monographie en 1934.
 
 1939
 Installation à Varengeville pendant la guerre. Premiers essais de sculpture, ensemble de Vanités
 austères et symboliques.
 
 1943
 Publication de Braque, le Patron, de Jean Paulhan.
 
 1944–1949
 Cycle sur les billards.
 
 1946
 Nicolas de Staël écrit que Braque « est le plus grand des peintres vivants de ce monde ».
 
 1947
 30 mai–30 juin : première exposition à la galerie d’Aimé Maeght, son dernier marchand.
 Fait la connaissance de René Char.
 
 1948
 Grand prix de peinture à la XXIVe Biennale de Venise.
 
 1949–1956
 Série d’études.
 
 1953
 Peint Les Oiseaux au plafond de la salle Henri II du Louvre.
 
 1954–1962
 Série sur les oiseaux.
 
 1955–1963
 Cycle de derniers paysages de Varengeville.
 
 1963
 31 août : décès de Braque.
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