Fanny Begoin : Une goutte de lumière sur un océan dénudé
par Jean-Paul Gavard-Perret
Fanny Begoin donne rendez vous à ses modèles chez eux ou à leur atelier lorsque je réalise des portraits d'artistes. Elle partage un moment avec celui-ci, discute, explique puis la séance commence selon une recherche patiente, minutieuse et perfectionniste jusqu'à ce que le modèle s'oublie, se dévoile dans la fragilité de moment de solitude.
Travaillant toujours à l'argentique l'artiste y s'inscrit une quête d'images « empreintes » du banal. S'installe de ce fait lors de la prise de vue moins des mises en scènes qu'une manière de rejouer le quotidien a minima. S'y perçoit par effet de surface des profondeurs cachées en une célébration tacite, un acte étrangement pieux.
Cela provoque une traversée incertaine dont l'avenir comme l'origine demeurent une interrogation. Elle crée tout le charme de l'œuvre. L'instant redevient lieu qui lui-même retourne à l'invisible. S'impose le pouvoir d'étrangeté d'un infini presque tactile. C'est là qu'il monte, qu'il déborde face au danger du temps qui court forcément à sa perte. En bougeant il nous pétrifie. C'est l'idole dont ne se saisit que le creux.
C'est pourquoi Fanny Begoin préfère l'instantané du réel rejoué à l'imaginaire. On naît dans le premier, on y vit : il faut y retourner. Même si nous y semblons toujours un peu anachroniques. La comédie humaine est désossé. Chaque cliché fait le jour et la nuit tout en éloignant du romantisme de la ruine. Cela évite d'entrer la nostalgie comme le compte à rebours. Chaque photographie devient est un îlot qui témoigne du réel et non de ses justifications. |
L'artiste se fait Gorgone plus que Chimère. Il arrive que la « bête » soit rétive ou que Fanny Begoin fasse durer le plaisir en s'égarant dans des modèles si proche si loin. Elle ne juge jamais leur réel pusillanime. Elle reste la femme qui lit les ratures laissant la place nette après la magie de ses prises. Chaque fois elle vient à bout de son et de ses objectifs. Elle sait voir l'essentiel sur un dos dénudé ou à l'intérieur d'une vague moue qui la font voyager. Le déclic parfois crochète. Qu'importe si la victoire est difficile et si l'épiphanie claudique avant de déborder Ayant atteint un au-delà des frontières ensuite il n'y a plus rien à faire. Tout est objet de paix, occasion de quiétude au sein de résurrections quotidiennes, leurs petites pâques. Assise un modèle a sans doute les idées vagues mais ta technique reste imparable : le cœur est mis à nu dans cette petite mort qu'accorde la prise en lune de miel sur l'ordinaire. Après un sourire et quelques mots échangés et une fois que les images sont réalisées le tour est joué. Chaque goutte de lumière vaut chaque jour un océan d'obscurité. |