Tyler Shields : le réel ludique et l'érotisme ironique par Jean-Paul Gavard-Perret
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Tylers Shields Courtesy Andrew Weiss Gallery Santa Monica |
Ecrits sur l'art
Arnaud Cohen
Arnaud Cohen : révision du système des images
par Jean-Paul Gavard-Perret
Arnaud Cohen, « Rémission + Rétrospection » Palais Synodal, Sens,14 juin- 20 septembre 2015, « A l'ombre d'Eros - une histoire d'amour et de mort», Monastère Royal de Brou, Bourg-en-Bresse, 19 juin 2015 - 4 janvier 2016.
Dans la salle synodale du Palais de Sens (redessiné par Viollet-le-Duc) Arnaud Cohen convoque à travers ses mises en scènes et ses sculptures une critique de notre époque Dans « Rémission » l'artiste cultive deux ambitions ou espérances qu'il définit lui-même : « celle d'un sursaut vital et d'une rémission du cancer qui nous ronge, celle d'une rémission de nos pêchés à l'heure du jugement dernier ». Entre préoccupations physiques et métaphysiques le créateur montre en filigrane comment « une Europe malade de ses doutes et de ses peurs roule à tombeau ouvert vers un suicide collectif ». L'œuvre est ambitieuse, profonde, habitée mais non sans humour. Un Saint Sébastien est fléché de seringues et dans un hôpital de campagnes les opérations en cours ou passées font surgir divers monstres et hybrides.
Nadia Lee Cohen
L'Eden et après
Nadia Lee Cohen par Jean-Paul Gavard-Perret
Provocantes, mélancoliques parfois effrayantes les poupées US de l'anglaise Nadia Lee Cohen portent plus loin les critiques qu'un art féminin a déjà illustré avec Nan Goldin et Cindy Sherman. Ne semblant pas aimer ce qu'on a fait d'elle, ces femmes subissent une beauté fabriquée qu'elles doivent assumer. Filles de tous elles deviennent filles de rien mais restent sauvées par le regard de la jeune anglaise qui épouse leur désarroi silencieux. Non seulement ses clichés viennent percuter les murs de la mémoire par nostalgie (des années 60) mais celui-ci permet la critique d'un présent ravagé mais qui dans ces mises en scènes enfoncent dans les arcanes de l'étrange.
Laura Callaghan
Laura Callaghan : soft lesbian power
par Jean-Paul Gavard-Perret
Laura Callaghan dessine au présent sa propre histoire sans entrer dans les détails. N'en surgit que la mystique et sensuelle moelle. Son présent est riche de tout un passé et s'engrosse encore d'avenir. Ce présent à la fois poétique et réaliste actualise des scènes quotidiennes afin pour nous réfléchissions sur le sens de notre propre existence et sur nos a-priori. En effet Laura Callaghan explore par ses dessins les frontières, les limites du féminin et son incessant devenir. L'intimité est toujours traitée de manière allusive et sous forme narrative. L'homme est exclus d'un tel univers : cela évite tout "épapillonnement" . Et si la créatrice flaire lèche croque des grains de peau, si elle accroche aux cheveux de ses copines ses grains de folies, cela se montre sous forme d'aporie.
Nestow Sakaczbia
"Nestow Sakaczbia et les insomniaques" par Jean-Paul Gavard-Perret
Du collage (découpage et dessin) on n'a dit bien des choses en oubliant qu'il s'agit là d'un fantômes en tant que représentation de la déchirure, de la blessure et de la tension. Mais il y a plus : pour Nestow Sakaczbia il s'agit d'un objet magique qui doit certains de ses éléments à ce que l'image n'est pas par création directe. Coller un élément au lieu de le peindre ou de le dessiner revient d'une certaine façon a avoir recours au symbole. Et tandis que l'analogue (ou l'original) s'imposerait avec sans doute plus de relief et de force, le collage sert de métaphore (image dans l'image) comme une poétique qui partant du réel le métamorphose pour lui accorder plus de signification ou de fantaisie.
MA Qun par Jean-Paul Gavard-Perret
Le « tachisme » de Ma Qun
Les « corps conducteurs » - couleurs et formes avec lesquels Ma Qun crée - vivent, boivent le support pour s'en emparer. Une crudité lyrique jaillit entre dépossession et reprise. Volumes et coloris sont composites et au besoin incongrus pour abolir au mieux le front des apparences et le remplacer par une vision agitée. Tout est en acte donc rien n'est figé. La narration plastique ignore la froideur et la rigidité. A sa place : la souplesse et la densité. Une force envahit l'espace. Il faut sans doute un beau courage à l'artiste pour oser un tel travail. Il n'illustre pas une thèse. Il fait mieux : s'y fonde un système poétique particulier. L'infériorité du logos est remplacée par des visions qui desserrent le carcan de la représentation au profit d'un langage où les « images » se retournent d'elle-même pour monter un « breaking down » où lignes et courbes criblent l'espace afin d'atteindre non le néant mais à ce qui se cache derrière.
Sophie Aymon
Sophie Aymon du visage au portrait, du réel au mystère
Par Jean-Paul Gavard-Perret
Sophie Aymon remet en cause la question du portrait et de l'identité au moyen d'un travail de fond et à travers les "occurrences" qu'elle ouvre loin des projections narcissiques. Par effet de sérialité elle crée une beauté qui n'est pas d'apparence mais d'incorporation. D'une toile à l'autre l'artiste reprend le même projet, s'arrête, avance comme on avance dans la neige. Le visage n'est plus traité de manière à le "psychologiser" mais afin de le détacher de lui-même pour mériter le statut de portrait et non de reportage. Le premier ne serte pas à dévisager mais à envisager autre chose qu'une ressemblance. La "visagéïté" opérée par le langage pictural descend non dans le réel mais aux sources des formes et des couleurs en de longues vibrations de lumière. Contrairement à tant d'artiste qui s'appuie sur la photographie afin de construire le portrait Sophie Aymon s'engage totalement dans et par la peinture pour le composer.
C'est sans doute pourquoi le "dedans" du visage laisse monter la trace et l'ajour d'une existence diffractée, démultipliée par la puissance de l'art. Le silence du regard devient passage entre l'hypnose et la gestation. Et la peinture - à travers de tels portraits et leur multitude fractionnée - semble par l'exercice de la beauté l'approche d'un "qui je suis" qui viendrait torde le cou au "si je suis". Dénaturant les simples effets de réel, l'artiste perturbe les habitudes de reconnaissance. La où la peinture appelle l'absolue nécessité du visage et au moment où la créatrice devient amasseuse de visages sensuels surgit la célébration d'un cérémonial de féerie particulière chaude et glacée.
Fanny Begoin
Fanny Begoin : Une goutte de lumière sur un océan dénudé
par Jean-Paul Gavard-Perret
Fanny Begoin donne rendez vous à ses modèles chez eux ou à leur atelier lorsque je réalise des portraits d'artistes. Elle partage un moment avec celui-ci, discute, explique puis la séance commence selon une recherche patiente, minutieuse et perfectionniste jusqu'à ce que le modèle s'oublie, se dévoile dans la fragilité de moment de solitude.
Travaillant toujours à l'argentique l'artiste y s'inscrit une quête d'images « empreintes » du banal. S'installe de ce fait lors de la prise de vue moins des mises en scènes qu'une manière de rejouer le quotidien a minima. S'y perçoit par effet de surface des profondeurs cachées en une célébration tacite, un acte étrangement pieux.
Cela provoque une traversée incertaine dont l'avenir comme l'origine demeurent une interrogation. Elle crée tout le charme de l'œuvre. L'instant redevient lieu qui lui-même retourne à l'invisible. S'impose le pouvoir d'étrangeté d'un infini presque tactile. C'est là qu'il monte, qu'il déborde face au danger du temps qui court forcément à sa perte. En bougeant il nous pétrifie. C'est l'idole dont ne se saisit que le creux.
Walter Lewy par Jean-Paul Gavard-Perret
Walter Lewy : d’une peinture mythique par Jean-Paul Gavard-Perret
Walter Lewy (1905-1995) fit un peintre brésilien à l’âme de chevalier. Il eut toujours soif de l’Aventure artistique surréaliste non sans craintes et crises, avec ses gouts, ses rejets, ses peurs de mal faire et le courage de continuer un parcours qui se calque sur celui de la peinture surréaliste européenne dont elle est le double - et non la copie. Derrière sa vie de reclus demeure la quête du Graal du XXème siècle. En Europe une telle œuvre demeure cachée même si depuis quelques années Martin Vaskou la fait vivre. S’y propage pourtant une chanson de gestes mâtinée de science-fiction. . Refusant de sacrifier les légendes il en a inventé de nouvelles avec orgueil pour toujours reprendre les armes et retrouver la direction du vol de l’oiseau : corbeau blanc, chouette diurne, qu’importe. Walter Lewy a donc passé les frontières du temps avec idéalisme et dans la solitude pour se lancer encore et encore sur la route.
Gilda Richet texte de Jean-Paul Gavard-Perret
Gilda Richet : la lutte contre la surface par Jean-Paul Gavard-Perret |
Gilda Richet décompose le géométrisme fixe pour donner à son univers – comme au notre – plus de légèreté. Si bien que la surface plate est dépassée : elle devient épaisseur diaphane et temps soulevé. Chaque toile ressemble à un aquarium d’air. L’acte de peindre représente un étirement dans l’espace là où se crée la débandade des horizons afin de montrer les confins où s’amorcent la fragilité d’une danse. Tout bascule, s’échappe, s’envole. Néanmoins chaque œuvre tient parfaitement en équilibre dans les suspens et les glissements de "niveaux". |